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« Bibliothèque internationale » (1968-1993)

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La « Bibliothèque internationale » est une collection consacrée à la littérature de jeunesse. Elle fut fondée aux Éditions Fernand Nathan en 1968 et dirigée jusqu’en 1985 par Isabelle Jan, romancière, poétesse et traductrice, spécialiste des livres pour enfants (son Essai sur la littérature enfantine paraît en 1969 aux Éditions ouvrières). Entrée en 1966 chez Fernand Nathan après s’être formée au métier d’éditrice à l’Atelier du Père Castor, Isabelle Jan conçoit une collection innovante, inspirée par ses travaux de recherche, en proposant des textes sensiblement différents de ceux qui dominaient la littérature de jeunesse en France depuis la fin des années 1940. Deux acteurs principaux se taillaient alors la part du lion : la « Rouge et Or » des Éditions GP (Générale de Publicité) et les « Bibliothèques rose et verte » de Hachette. La première adaptait des œuvres classiques (d’Alexandre Dumas à Miguel de Cervantes en passant par Charles Dickens et James Fenimore Cooper), tout en publiant des auteurs plus récents (Pierre Mac Orlan, Albert Paluel-Marmont, Pierre Nord…) retenus surtout pour les qualités documentaires ou morales de leurs œuvres. La seconde diffusait à grands tirages bon marché une production plus contemporaine et populaire – essentiellement des séries importées des pays anglo-saxons : des États-Unis, comme les Alice de Caroline Quine (nom de plume qui rassemble une douzaine de scénaristes), ou de Grande-Bretagne, comme Le Club des Cinq d’Enid Blyton. Dans ce paysage éditorial grossièrement partagé entre une bibliothèque d’éducation destinée à instruire la jeunesse en alimentant les programmes scolaires et, d’autre part, une offre récréative et commerciale sans grande prétention littéraire, la « Bibliothèque internationale » ouvrait une tierce voie.

Dans le sillage des premières foires internationales de Bologne (1963) et de Bratislava (1967) qui affirmaient la légitimité artistique et littéraire des œuvres dédiées à la jeunesse, Isabelle Jan voulait à la fois promouvoir des écritures originales et affranchir la littérature de jeunesse du carcan didactique de l’institution scolaire. Ce projet était en outre nourri par certaines des aspirations du mouvement de mai 68 : « Nous rêvions d’ouverture et d’universalisme », confiait-elle à Laurence Kiefé. « [J]e pensais, un peu naïvement peut-être, que la littérature de jeunesse se rattachait aux grands courants culturels internationaux » (Kiefé 113). Associée aux exigences critiques d’Isabelle Jan, cette vision appelait une réforme de la manière dont l’édition française transmettait à la jeunesse la littérature étrangère qu’elle standardisait à coup de réécriture et de banalisation culturelle. La « Bibliothèque internationale » entendait à l’inverse initier ses lecteurs à des textes dépaysants dont elle respecterait la lettre et les particularismes nationaux. Par ailleurs, à l’inverse de beaucoup d’éditeurs français qui préféraient publier des classiques remaniés censés valoir toujours mieux que d’excellents livres pour enfants, la collection ne proposerait que des livres expressément conçus pour la jeunesse. « Pour un âge déterminé, et même pour tout le monde, Le Vent dans les saules ou Mary Poppins, cela vaut l’Illiade et Roméo et Juliette » (« Le problème de l’adaptation » 34), affirmait Isabelle Jan.

Sur les 70 volumes de la collection, plus de 60 proviennent de l’étranger et représentent un large éventail de pays : en premier lieu, ceux d’Europe du Nord et de l’Est (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Finlande, Pologne, Bulgarie, URSS…) mais aussi l’Espagne, l’Italie, la Grèce, et des ères culturelles plus lointaines, comme la Chine, le Japon, le Brésil ou l’Argentine. Dans ce concert des nations, une part importante revient aux pays anglophones (près de 30% des textes étrangers), Grande-Bretagne et États-Unis faisant jeu égal avec 9 titres chacun. Pour signifier leur valeur, la « Bibliothèque internationale » présente ses textes dans de luxueux livres grand format à la couverture toilée. Mais surtout, un soin particulier est porté aux traductions. Il s’agissait, de manière militante, de soustraire la littérature de jeunesse à l’emprise de l’adaptation dont Isabelle Jan dénonçait la course à la rentabilité et les travers inquiétants : une censure confinant parfois au non-sens et un projet didactique « dont il faut beaucoup se méfier parce qu’il a une volonté d’instruire et surtout de mettre au clair ; soumettre à la raison détruit la fonction même de l’œuvre et ce qu’on attend avant tout d’elle » (« Le problème de l’adaptation » 32).

Parmi les titres les plus notables du domaine étatsunien, la collection fait découvrir, bien avant le succès de la série télévisée qui en est inspirée, La Petite Maison dans les grands bois de Laura Ingalls Wilder. Ces souvenirs d’enfance romancés, qui relatent la vie d’une famille de fermiers sur les terres hostiles du Midwest à la fin du XIXe siècle, engendrent le dépaysement promu par Isabelle Jan tout en satisfaisant au critère d’universalité également recherché par la collection : en ce « roman des choses », les catalogues et autres énumérations manifestent et suscitent « le plaisir infini » qu’ont tous les enfants à nommer le monde (Jan, Essai 113). Les Histoires Rutabaga de Carl Sandburg, retraduites pour l’occasion (Léon Bazalgette en ayant fourni une première version aux Éditions Rieder en 1925), témoignent, elles aussi, du parti-pris de la collection. Ces contes de fées acclimatés à l’Amérique, sans princesses ni châteaux, affichent leur singularité en peignant à travers de petites vignettes au style de comptines poétiques un Midwest rêveur qui rappelle un peu le pays d’Oz créé en 1900 par Lyman Frank Baum. Avec ses toboggans jetant des ponts entre Terre et Lune et ses gratte-ciels qui enfantent des trains libres de courir la prairie, le pays de Rutabaga déploie tout une mythologie autochtone mais ouvre aussi une fenêtre sur une géographie réelle, des modes de vie, des idéaux et un folklore méconnus des jeunes Français que le ton parfois ironique des récits invite de surcroît à réfléchir sur les illusions de l’Amérique et de la modernité. Dans une veine différente – chaque texte de la collection relevant d’une inspiration et d’une écriture originales – Le Club du samedi d’Elizabeth Enright évoque avec réalisme le New York du début des années 1940 à travers les regards croisés d’enfants qui en apprivoisent les dangers et exploitent ses espaces de jeu propices à l’invention. Sans la nostalgie ou le moralisme qui caractérisent souvent les portraits de l’enfance, celui des membres de la famille Melendy (cinq frères et sœurs vifs d’esprit placés sous la conduite d’un père veuf), explore la culture enfantine d’une époque, son rapport aux aînés, et observe avec fraîcheur la société contemporaine sans toutefois en exclure les zones d’ombre, comme la guerre qui fait rage en Europe. À côté de ces titres entrés de plain-pied dans le canon de la littérature de jeunesse aux États-Unis, des œuvres un peu moins connues en France et plus récentes, parues outre-Atlantique dans les années 1960 et 1970, figurent au catalogue de la « Bibliothèque internationale » : C’est la vie, mon vieux chat d’Emily Cheney Neville, Un grillon dans le métro et Un grillon à la campagne de George Selden, Harriet l’espionne de Louise Fitzhugh, ou encore Un vendredi dingue, dingue, dingue de Mary Rodgers, qui sera popularisé par diverses adaptations cinématographiques et télévisuelles. Comme les textes précédemment évoqués, ceux-ci ont la vertu d’instiller du non-familier dans le corpus de la littérature de jeunesse dont ils font évoluer les codes en adjoignant aux imaginaires enfantins la profondeur et le détachement d’une subtile ironie.

Notice et bibliographie établies par Jean-Yves PELLEGRINMaître de conférences en littérature américaine, traducteur, Sorbonne Université
Pour citer cette notice : Notice « Bibliothèque internationale » (1968-1993) par Jean-Yves PELLEGRIN, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 11 mai 2023 - dernière modification le 16 décembre 2023, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/bibliotheque-internationale-1968-1993-editions-fernand-nathan/ 

Bibliographie

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