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Marcel CLAVEL (1894-1976)

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Formation – un chercheur transatlantique

Marcel Clavel naît en 1894 dans une famille de la moyenne bourgeoisie. Après des études secondaires au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, il est reçu en 1914 à l’École normale supérieure, mais est mobilisé dès septembre de cette même année. Il intègre la formation des sous-officiers réservée aux élèves des Grandes écoles, et devient un « intellectuel soldat » selon la formule de Nicolas Mariot. Pendant la Première Guerre mondiale, préposé à l’instruction des soldats, il met à profit ses compétences linguistiques ainsi que ses réseaux intellectuels ; en mai 1917, il obtient ainsi sans peine une réaffectation à l’instruction des troupes américaines, et part au Nouveau-Mexique. S’il fut en quelque sorte un participant privilégié de la Grande Guerre, en sa qualité d’intellectuel, ses expériences de 1914-1918, puis de la Deuxième Guerre mondiale, peuvent expliquer son engagement humaniste. Il consacrera notamment des travaux à Auguste Comte.

Démobilisé en 1919, il réintègre l’École normale supérieure et part comme assistant à Oxford, où il prépare un Diplôme d’Études Supérieures sur « Kipling et l’armée des Indes » (1920). Fraîchement agrégé d’anglais en 1921, il passe ensuite six années à l’Université Ann Arbor dans le Michigan (1921-1925) comme Assistant Professor. C’est là qu’il débute ses recherches sur James Fenimore Cooper. Il y propose un cours intitulé « French Classicism in England », un autre sur Rousseau et l’Angleterre, puis « La Littérature française par l’explication de textes », importation des exercices canoniques de l’université française aux États-Unis, qui reflète son imprégnation de la critique et de la pédagogie lansoniennes. C’est d’ailleurs Gustave Lanson, professeur à Ulm, qui lui a ouvert les portes du monde académique outre-Atlantique en le recommandant auprès du critique et professeur de littérature française à Ann Arbor, Hugo Paul Thieme. Ces mobilités en Angleterre et aux États-Unis, sans aucun doute essentielles à sa formation et à la rédaction de sa thèse, sont ainsi rendues possibles à la fois par son statut d’étudiant à l’École Normale Supérieure et par la guerre.

À son retour en France, Clavel enseigne deux ans au Lycée Thiers à Marseille, avant d’être nommé chargé de conférences, rang qu’il occupe de 1925 à 1930, puis assistant jusqu’en 1938, et enfin professeur de littérature à la faculté de Lettres d’Aix-en-Provence, poste qu’il conserve jusqu’en 1963. C’est à Marseille qu’il rencontre Jean Simon, spécialiste de Herman Melville et futur professeur à la faculté des Lettres de Lille (1939-1954).

La thèse

Contacté par Clavel pour diriger sa thèse sur Cooper, le Professeur Charles Cestre lui suggère de choisir un sujet plus vaste et d’étudier le motif de la nature dans la littérature, car déjà en 1912 George David Morris avait soutenu en Sorbonne une étude de la réception critique française de Cooper et Poe en France. Clavel parvient finalement à convaincre Cestre de l’utilité de nouveaux apports, la thèse de Morris datant d’une dizaine d’années auparavant. En inscrivant cette thèse en littérature américaine, Clavel se place dans une tradition émergente d’universitaires initialement formés à la littérature française et anglaise, qui donneront leurs lettres de noblesse à la littérature dite américaine. Clavel, héritier de la première génération d’américanistes incarnée par Cestre, emprunte à la littérature comparée, lorsqu’il s’attache dans sa thèse complémentaire à étudier la réception de Cooper aux États-Unis, en Grande Bretagne et en France. Si un peu moins de la moitié des thèses de Lettres inscrites entre 1920 et 1934 portent sur la littérature américaine, de fait la grande majorité de ces travaux développent une perspective comparatiste, soit avec la France, soit avec l’Angleterre. Structurée de manière classique en « vie et œuvre », la thèse mêle à l’étude de la littérature des objets plus proprement « civilisationnels », notamment au travers de son intérêt pour les aspects de l’histoire éditoriale de Cooper. Il s’agit d’une étude du style de l’écrivain et de la critique européenne et états-unienne de l’auteur.

La préface souligne l’influence des travaux du spécialiste états-unien de Cooper, Robert Spiller, dont Clavel précise qu’au-delà de la dimension biographique déjà connue, il s’était attaché à dépeindre la vie de Cooper « en fonction de l’évolution de ses idées politiques et sociales » (9). Par ailleurs, il s’agissait bien pour le chercheur français de remplacer la biographie reconnue de Thomas Raynesford Lounsbury (Life of James Fenimore Cooper, 1882), décriée par la propre fille de l’écrivain, et « dont le remplacement s’imposait depuis fort longtemps » (10). C’est donc bien dans le sillage des chercheurs états-uniens que se place Clavel, ce que l’on comprend au vu de l’intérêt encore limité des anglicistes français pour la littérature d’outre-Atlantique.

Il soutient sa thèse en 1938 devant un jury composé du quatuor de prestigieux « maîtres de l’époque », Charles Cestre, Louis Cazamian, Emile Legouis et René Huchon ; seul Cestre a, entre-temps, été nommé à la première chaire de littérature et civilisation américaine à la Sorbonne, établie en 1927. Clavel égratigne, dans la thèse complémentaire sur la réception de l’auteur, le pionnier Philarète Chasles qui, selon lui, se serait contenté dans Études sur la littérature et les mœurs des Anglo-Américains au XIXe siècle (1851) de traduire très librement un article sur Cooper paru dans le New Monthly Magazine de Colburn en avril 1831 en guise de jugement littéraire (thèse complémentaire, 380). On notera que la première thèse ne porte que sur la jeunesse de Cooper et de son œuvre, jusqu’en 1826, incluant dans les analyses Precaution, The Spy, The Pioneers, The Pilot, Lionel Lincoln (13 Republics) et The Last of the Mohicans. Par moments, Clavel laisse libre cours à un lyrisme qui, au demeurant, ne semble pas complètement déplacé au regard de celui de Cooper ; ainsi son appréciation de The Pilot :

Le grand peintre de la nature qui avait donné sa mesure dans les forêts de l’Otsego trouvait, sur l’océan, un nouveau domaine non moins digne de son pinceau ; et le conteur-né, qui avait à son actif les grandes scènes dramatiques et pathétiques de l’Espion, pouvait se donner libre carrière dans le grand tumulte des tempêtes, et dans les nuages de fumée zébrés d’éclairs qui enveloppaient ses navires au cours de combats acharnés. (504)

Cette thèse reçoit en 1939 le prix Montyon décerné par l’Académie française « pour l’ouvrage littéraire le plus utile aux mœurs ». L’importance des travaux de Clavel et son expertise sur Cooper sont attestées par sa réception outre-Atlantique tant par Robert Spiller – dont on notera qu’il fut un acteur important du développement du champ des études américaines – que par James Grossman dans le volume consacré à Cooper dans la collection American Men of Letters (W. Sloane Associates, 1949) où il saluait l’immense et méticuleux travail du chercheur français. Pendant ses années de thèse, Clavel publie quelques articles et critiques sur Cooper dans la Revue anglo-américaine fondée en 1923 et dirigée par Cazamian et Cestre. Signe discret de la pertinence de ses travaux, l’étude biographique de Clavel sur Cooper figurait toujours dans la bibliographie fournie à l’occasion de l’inscription de The Last of the Mohicans au programme de l’agrégation en 2016.

L’enseignant

De l’enseignant, Jean-Pierre Mouchon, qui le côtoya à la Faculté de Lettres d’Aix-en-Provence, évoque dans son Dictionnaire bio-bibliographique des anglicistes et assimilés la « faconde impressionnante » (454-455), par ailleurs soulignée dans les hommages qui lui furent rendus à l’occasion de son décès. Jean Loiseau rappelait ainsi dans son « In Memoriam » (Études anglaises, avril 1977) les « homélies » et « interventions torrentielles » de Marcel Clavel aux débuts de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur (SAES). L’hommage rendu par le même Loiseau dans le bulletin de l’Association des anciens élèves de l’ENS le présente affectueusement comme un homme droit et enjoué, « le plus dévoué des professeurs », « un de ces enseignants généreux, qui cherchent à éveiller ce qu’il y a de plus positif chez leurs élèves [sic], à les entraîner dans leur foulée, au risque d’ailleurs de se faire taxer de paternalisme », doté d’une puissance d’enthousiasme et d’une sincérité, et ne portant « aucune trace de l’insupportable arrogance intellectuelle qui fait rage aujourd’hui dans trop de milieux ». En 1935, Clavel avait rédigé un fascicule de Conseils aux étudiants d’anglais pour ses étudiants de la faculté de lettres d’Aix-en-Provence.

Assurément, Clavel fut un champion infatigable de Cooper pendant près de 40 ans. Comme il l’indiquait en 1951, à l’occasion du Congrès de la New York State Historical Association à Cooperstown, il eut le plaisir de l’inclure aussi bien au programme de ses cours à l’université qu’à celui de ses nombreuses conférences publiques entre Aix, Marseille et Nice. Il contribua à inscrire Le Dernier des Mohicans au programme du premier certificat de Littérature et civilisation américaines créé en France à la fin des années 1940. Dans les années 1960, alors qu’il plaidait pour un « Cooper Revival », il élabora avec les Services américains le projet de création d’une chaire de conférences franco-américaines en souvenir de l’auteur au Centre universitaire américain de Nice – rattaché alors à l’Université d’Aix-Marseille. Dans une lettre au conservateur de la bibliothèque universitaire d’Aix-en-Provence, à l’été 1971, il se désolerait que ce projet ait été balayé au profit d’une chaire Hemingway, en l’honneur du « desperado de la littérature », selon ses termes. Marcel Clavel a légué à l’Université de Provence, aujourd’hui Aix-Marseille Université, un fonds riche de plus de 200 ouvrages ayant trait à la littérature et à l’histoire des États-Unis, dont près de 90 volumes d’éditions états-uniennes et françaises de Cooper ainsi que de Washington Irving.

Notice et bibliographie établies par Cécile CottenetAix-Marseille Université
Pour citer cette notice : Notice Marcel CLAVEL (1894-1976) par Cécile Cottenet, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 24 février 2023 - dernière modification le 19 décembre 2023, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/clavel-marcel-1894-1976/ 

Bibliographie

Bibliographie primaire par ordre chronologique

CLAVEL, Marcel. « Une thèse sur le roman de Bas-de-Cuir » (Recension de la thèse de Margaret Murray Gibb). Revue anglo-américaine, avril 1928, p. 342-354.

CLAVEL, Marcel. « Du Nouveau sur Fenimore Cooper ». Revue anglo-américaine, n°1, août 1929, p. 532-537.

CLAVEL, Marcel. « Fenimore Cooper et l’Angleterre ». Revue anglo-américaine, n°6, août 1930, p. 538-542.

CLAVEL, Marcel. Compte-rendu de Robert R. Spiller, Philip C. Blackburn, A descriptive Bibliography of the Writings of James Fenimore Cooper. Revue anglo-américaine, n°1, Janvier 1934, p. 167-170.

CLAVEL, Marcel. Conseils aux étudiants d’anglais. Aix-en-Provence : Imprimerie universitaire de Provence, E. Fourcine, 1935.

CLAVEL, Marcel. Fenimore Cooper and his Critics. American, British and French Criticisms of the Novelist’s Early Work. Aix-en-Provence : Imprimerie Universitaire de Provence, E. Fourcine, 1938.

CLAVEL, Marcel. James Fenimore Cooper. Sa vie et son œuvre. La jeunesse (1789-1826). Aix-en-Provence : Imprimerie Universitaire de Provence, E. Fourcine, 1938.

CLAVEL, Marcel. « What Fenimore Cooper has Meant and What He Still Means to Me”. Annales de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, 1956. http://jfcoopersociety.org/articles/other/1956other-clavel.html

CLAVEL Marcel, Le Centenaire d’Auguste Comte et la nouvelle constitution française. Pour un nouvel humanisme fondé sur une Déclaration des Droits et des Devoirs de l’Homme civilisé de l’avenir. Fédération Humaniste Française, Paris, août 1958.

CLAVEL, Marcel. « Le ‘Cooper Revival’ aux États Unis.  Sa nature et ses origines, ses heureux résultats et ses insuffisances, ses exagérations. » Etudes anglaises, juillet 1962, extraits, p.1-12.

CLAVEL, Marcel. « Review of James Fenimore Cooper and the Development of American Sea Fiction by Thomas Philbrick ». American Literature vol. 34, n°2, mai 1962, p. 293-294.

CLAVEL, Marcel, Lettre à M. Sibertin-Blanc, Conservateur de la bibliothèque universitaire d’Aix-Marseille, le 21 août 1971 (fonds Clavel, BU ALLSH, Aix-Marseille Université).

 Bibliographie secondaire

COTTENET, Cécile. « Une histoire de pionniers — Marcel Clavel, Charles Cestre, Jean Simon et al. » https://anglistique.hypotheses.org/561

GOURDEL, Tiphaine. Rapport sur Marcel Clavel (inédit, n. p., BU ALLSH, Aix-Marseille Université)

MOUCHON, Jean-Pierre. Dictionnaire bio-bibliographique des anglicistes et assimilés, Marseille, Terra Beata, 2010.

LOISEAU, Jean. « In memoriam ». Etudes anglaises, n°2, avril-juin 1977, p. 258-259.

LOISEAU, Jean. Notice nécrologique. Annuaire de l’Association des anciens élèves de l’École normale supérieure, 1977, p. 65-68.

MARIOT, Nicolas. Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple. Paris : Seuil, 2013.

SPILLER, Robert E. “Review. Fenimore Cooper : Sa vie et son œuvre. La jeunesse (1789-1826) by Marcel Clavel. Fenimore Cooper and his Critics: American, British and French Criticisms of the Novelist’s Early Work.” American Literature. Vol 10, n°4 (Janvier 1939), p. 498-499.

Pour aller plus loin

CLAVEL, Marthe. Ultime témoignage sur la Première guerre mondiale : par un conscrit de la classe 14. Lettres de guerre et carnets de route de septembre 1914 à juin 1917. Toulouse, 1982.

CLAVEL, Marcel. Terres et gens de France. New York : Henry Holt, 1924.

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