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Doussia ERGAZ (1904-1967)

Ida Mikhailovna Ergaz, alias Doussia Ergaz, est née en Russie en 1904. Cette « Russe blanche » d’origine juive a vécu à Constantinople jusqu’à l’âge de 12 ans et fait toutes ses études en français, essentiellement à la Sorbonne.

Traductrice depuis le russe (de Tolstoï et Dostoïevski, notamment) et, plus rarement, depuis l’anglais (Doris Lessing), elle a publié quelques romans en langue française : L’Échéance (1933), L’Australienne (1935), Marie-Laure (1937), Bonheur mérité (1938), Les Faveurs du ciel (1946) et Le Temps du mérite (1954).

Dotée d’un solide réseau de connaissances dans le monde littéraire parisien, Doussia Ergaz travaillait pour l’agence Denyse Clairouin, qui se spécialisait dans la représentation en France d’écrivains de langue anglaise. Suite au décès de Clairouin au camp de Mauthausen, elle en reprend les affaires à la fin de la guerre. Au sein de l’agence, elle représente notamment l’auteur russo-américain Vladimir Nabokov : Ergaz avait traduit un de ses romans russes, Chambre obscure, paru en français aux éditions Grasset, en 1934. En 1947, elle devient sa principale agente littéraire en Europe. Nabokov écrit désormais en anglais et vit aux États-Unis depuis 1940. Leur relation est plus que professionnelle : ils s’adressent souvent l’un à l’autre en écrivant « Chère Madame et amie » ou « Cher ami », mais toujours en se vouvoyant. Nabokov s’enquiert du succès des livres de son agente, et elle insiste souvent sur l’admiration qu’elle éprouve pour le travail de l’auteur. Au début de sa carrière, elle aurait même renoncé à toucher des honoraires ou à être payée pour la traduction envisagée des nouvelles de Nabokov car, selon ce dernier, la situation professionnelle de son mari avocat lui offrait un grand confort financier.

Le rôle d’Ergaz a été crucial dans la publication du roman le plus célèbre de Nabokov : après que Lolita a été refusé par au moins quatre éditeurs étatsuniens en raison de son sujet réputé impossible, elle en permet la parution en France en 1955 grâce à sa rencontre avec l’éditeur Maurice Girodias, directeur de la maison Olympia Press et fils de Jack Kahane, fondateur avant la guerre d’Obelisk Press. Girodias publiait à Paris des auteurs réputés sulfureux comme Henry Miller, William S. Burroughs, Georges Bataille et Jean Genet, mais aussi Samuel Beckett. L’excellente relation professionnelle et amicale entre Nabokov et Ergaz est mise en péril par les conflits entre l’auteur et Girodias, mais ils n’en viendront pas à bout. Au début de l’année 1965, Ergaz renonce à traduire une nouvelle fois Nabokov en français : elle avait accepté de se charger de The Gift, version en anglais de son dernier roman russe, mais doit décliner pour raisons de santé. Suite au décès d’Ergaz en 1967, c’est Marie Schébéko, qui avait déjà commencé à collaborer avec Ergaz pour la représentation de Nabokov, qui la remplace comme agente littéraire.

Notice et bibliographie établies par Julie Loison-CharlesMaîtresse de conférences HDR en traduction et linguistique, Université de Lille
Pour citer cette notice : Notice Doussia ERGAZ (1904-1967) par Julie Loison-Charles, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 22 octobre 2023 - dernière modification le 11 juillet 2024, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/doussia-ergaz-1904-1967/ 

Bibliographie

Catalogue collectif de France

ANONYME. Présentation de la nouvelle « Le Monstre » de Doussia Ergaz. Les Œuvres libres, n°47, 15 avril 1950, p. 199.

BOYD, Brian. The Russian Years. Princeton: Princeton University Press, 1990.

DELMAS, Melina. « (S)Mothered in Translation? (Re)Translating the Female Bildungsroman in the Twentieth Century in English and French ». Thèse/ PhD. University of Birmingham, 2019.

GIRODIAS, Maurice. Une Journée sur la Terre, II, Les Jardins d’Eros. Paris : Éditions de la Différence, 1990.

NABOKOV, Vladimir. Letters to Véra. Trad. Olga Voronina et Brian Boyd. Londres: Penguin Classics, 2016.

SHAPIRO, Gavriel. « The Beneficial Role of Jews in Vladimir Nabokov’s Life and Career ». Nabokov Online Journal, vol. XIII, 2019, p. 1-18.

TROUBETZKOY, Laure. « Notice “Chambre obscure” (“Kaméra obscoura”, 1933) ». NABOKOV Vladimir, Œuvres romanesques complètes, I, Éd. Maurice Couturier. Paris : Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1999, p. 1581-1591.

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