Rien ne prédisposait François Pitavy à faire partie de la génération qui a su secouer les études anglaises pour faire émerger les études américaines, tant dans les cercles académiques que pour le grand public. Né en 1934, après une licence d’anglais à Lyon, il fut assistant de langue à Nottingham, en Angleterre, avant d’être reçu à l’agrégation d’anglais en 1958. Les six années suivantes furent partagées entre l’enseignement secondaire et un service militaire de plus de deux ans entre Allemagne, Algérie et France.
En 1962, il déposait le sujet d’une thèse d’État sobrement intitulée « L’art de Faulkner », thèse qu’il soutiendra en 1978 sous le titre de « William Faulkner romancier, 1929-1939 ». À partir de 1964, toute sa carrière d’américaniste allait se dérouler à la Faculté de lettres et sciences humaines, puis à l’Université de Dijon, devenue Université de Bourgogne. Coup de pouce décisif à sa carrière d’américaniste, deux bourses Fulbright en 1966 et 1973 lui permettent de profiter de séjours d’été à l’Université de Virginie, dépositaire principale des archives Faulkner.
Il a en premier lieu été très actif dans cette Université de Bourgogne, où il a lancé le premier centre de recherches habilité en études anglophones, devenu « Centre interlangues – texte, image, langage ». Il y a aussi considérablement développé la coopération internationale, en particulier avec les États-Unis et le Canada, et y fut longtemps vice-président à l’international et responsable de la section d’anglais. Mais son implication dépassait largement son université, puisqu’il fut plusieurs années membre du Conseil d’administration, et même directeur par intérim, de la Commission Franco-Américaine, ainsi que, localement, membre du Conseil d’administration de France Amérique-Bourgogne.
Après avoir été président de l’Association Française d’Études Américaines (1988-1993), il fut un très actif représentant de l’américanisme français au sein de l’European Association for American Studies (EAAS). Avec sa femme Danièle Pitavy-Souques, il fut en particulier un pilier du Southern Studies Forum, le groupe thématique paneuropéen le plus ancien et le plus actif de l’EAAS, réunissant tous les ans des universitaires venus des deux côtés de l’Atlantique et passionnés par cette région. Comme lors de tous les colloques internationaux Faulkner, auxquels il participait assidument, il y retrouvait la forte affectio societatis qui lui était chère et qu’il savait entretenir, et bien des chercheurs de ce réseau transatlantique étaient traités en véritables amis. L’hospitalité envers les collègues anglophones ou étrangers de passage en France s’exerçait notamment dans son « moulin » bourguignon autour d’une bouteille de Beaune premier cru.
Avec Michel Gresset et André Bleikasten, il a été l’un des trois « mousquetaires » de la première génération de faulknériens français, comme les appelaient affectueusement leurs amis américains. Dès 1962, ils inscrivirent en même temps un sujet de thèse sur Faulkner, dès que l’annonce de son décès fit de son œuvre un sujet de thèse éligible, comme c’était l’usage. Dès 1970, les trois compères, encore doctorants (André Bleikasten, alors maître assistant à la Faculté des lettres et sciences humaines de Strasbourg, Michel Gresset, chargé d’enseignement à la Sorbonne, Pitavy, assistant à la Faculté des lettres et sciences humaines de Dijon), unirent leurs compétences et leur talent pédagogique pour produire un manuel-guide de lecture destiné aux étudiants, qui facilitait l’accès méthodique à deux œuvres qui allaient être la porte d’entrée aux études faulknériennes pour toute une génération d’étudiants francophones, dans la « collection » U2 chez Armand Colin (1970). On doit à Pitavy l’étude de Light in August, préfiguration de sa thèse, qui allait paraître en 1973 en traduction anglaise chez Indiana University Press. Il y révélait déjà une attention à la langue, au rythme et à la stylistique, qui allait caractériser sa sensibilité de traducteur.
Son talent pédagogique allait encore s’illustrer dans une étude sur Le Bruit et la fureur, ainsi que dans les notes des volumes parus dans la « Bibliothèque de la Pléiade ». Outre de nombreux articles et quelques ouvrages sur Faulkner, François Pitavy a en effet été le principal acteur de l’édition en six volumes des œuvres de Faulkner dans cette collection, avec un sens méticuleux de la traduction, tout en finesse, comme en témoignent les articles qui développent régulièrement sa réflexion théorique sur cette pratique réfléchie.
Ainsi, dans la note sur la traduction de Si je t’oublie, Jérusalem (Les palmiers sauvages), il souligne que la traduction initiale de Coindreau baignait dans la perception d’un Faulkner tragique, « dérégionalisé » en ce que son enracinement dans le Sud n’est pas pris en considération. Ce parti pris inconscient conduisit à « classiciser » la langue de la traduction, selon les exigences de la « belle langue » française. Pitavy explique ses propres choix. Il s’agit, d’une part, de réenraciner les récits dans leur cadre régional et historique – d’où par exemple l’addition d’une préface biographique et historique en tête du volume IV des Œuvres complètes de Faulkner dans la « Bibliothèque de la Pléiade » ; et, d’autre part, de revoir les traductions canoniques en s’approchant au plus près de la syntaxe de Faulkner, « au risque d’accroître la difficulté de lecture », car le style est inséparable du sens :
[…] le recours si caractéristique chez Faulkner au participe présent, mode impersonnel certes moins usité en français que le gérondif anglais, permet à l’auteur de tenter d’éterniser l’action présente en l’abstrayant de l’ordre séquentiel, de spatialiser pour ainsi dire le temps sur la page elle-même, où l’écriture cherche alors à s’approprier les privilèges et les prestiges de la peinture. Ce procédé d’écriture qui tente de suspendre le temps sur la page elle-même apparaît admirablement dans la description […] de la journée du forçat dans sa chasse à l’alligator, découpée en tableaux immobiles, de l’aube jusqu’à la venue de la nuit bourdonnante de moustiques et résonante des rugissements des alligators. (« Note sur le texte » 1008)
Traduire « le faulkner » est pour lui une sous-discipline à part entière de la « transatlantication » : il s’agit en fait de retraduire pour « retrouver dans la langue d’arrivée l’étrangeté du texte lui-même dans sa propre langue » ou, en reprenant les termes d’Henri Meschonnic, traduire « ce qu’un texte fait à sa langue ». Pitavy s’intéresse à l’intraduisibilité culturelle de notions comme l’innocence et la wilderness chez Faulkner, montre le lien entre les thématiques de l’auteur et les particularités de son style. Si l’une des notions les plus prégnantes de la condition humaine chez Faulkner est le vertige de la déprise (ce que Philip Weinstein désigne par le terme unknowing [l’inconnaissance]), quoi d’étonnant à ce qu’elle se traduise dans le rythme de la langue, dans une ponctuation, une tension, un « halètement rhétorique » ?