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Gérard GUÉGAN (1940- )

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Crédits : https://www.babelio.com/auteur/Gerard-Guegan/5955

Né en 1940 à Marseille, Gérard Guégan s’intéresse dès l’adolescence aux États-Unis, quand il fréquente le centre culturel américain de sa ville natale pour y écouter du jazz, du blues, et lire des livres qui le marquent profondément, comme Pour qui sonne le glas de Ernest Hemingway auquel il fait référence fréquemment. Hemingway sera pour lui comme un « père » qui l’aurait suivi jusqu’à faire partie de ses propres écrits (« L’Amérique d’Hemingway… »). Il s’oriente vers la culture populaire (cinéma, science-fiction ou encore bandes dessinées), mais aussi vers la contre-culture américaine, et s’intéresse notamment aux auteurs de la Beat generation.

Guégan a eu de multiples casquettes : journaliste, critique, traducteur, éditeur, créateur de revues, écrivain, et même acteur. Autodidacte, sans certificat ni baccalauréat, il crée dès l’âge de 21 ans sa première revue, puis déménage à Paris en 1963 pour poursuivre une activité de critique culturel, d’éditeur et, au détour de rencontres fortuites, de traducteur de livres américains. Son activité de passeur de littérature américaine se développe à la faveur de son activité de directeur littéraire de Champ Libre, et plus encore lorsqu’il se met à diriger la maison d’édition Le Sagittaire, à partir de 197, jusqu’à 1979.

Les premières publications : du cinéma hollywoodien à la littérature contestataire

Il débute dans l’édition avec la rédaction en chef du magazine Subjectif, qui ne publiera qu’un unique numéro sous ce titre en 1961. La revue est un mensuel de critique cinématographique qu’il décrit comme la « première revue à vouloir associer cinéma hollywoodien et insurrection prolétarienne » (Ascendant Sagittaire 34). Subjectif prend ensuite le nom de Contre Champ, revue dans laquelle sont publiées des critiques et recensions cinématographiques. Six numéros paraissent entre 1961 et 1964. Jacques Rivette intègre la revue et son créateur aux Cahiers du Cinéma à l’automne 1965. Guégan y parle de la politique des auteurs dans le cinéma américain depuis les années 1950 (« Vingt ans après » 18-32) et rédige des critiques dans la rubrique « Le cahier critique » pour des films américains comme The Brig (1965). Un temps affilié au parti communiste français, il n’oublie pas ses convictions, comme l’atteste la critique du film La comtesse de Hong Kong

Sur les classes sociales. Le cinéma, trop souvent, semble en méconnaître l’existence. L’argent n’est plus, comme sous Balzac ou Ford, le moteur qui fait qu’elle tourne. En vieux briscard, Chaplin maintient les traditions et s’emploie de diverses façons à détruire le rêve que l’écran semble illustrer. (« Les comptes de la comtesse » 61)

À Paris, Guégan collabore aussi en tant que critique à la rubrique culturelle de L’Humanité et aux Lettres françaises. Les premières publications et critiques de Guégan démontrent un intérêt pour les arts visuels comme le cinéma, mais la littérature prédomine dans son travail critique lorsqu’il s’associe avec Gérard Lebovici. Il évoque leur rencontre sur un quai de gare dans l’entretien « Who’s who » (Ardisson 1990). Ensemble, ils créent la maison d’édition Champ Libre en 1969. Un an plus tard, Alain Le Saux, illustrateur, puis Raphaël Sorin, éditeur, et Floriana Chiampo, la femme de Lebovici, rejoignent le comité éditorial. Gérard Guégan devient le premier directeur littéraire de cette maison d’édition à la posture révolutionnaire.

Les Éditions Champ Libre

Le travail de passeur de littérature états-uniennes de Guégan débute avec la publication de titres traduits de l’américain dans les premières années d’existence de cette maison d’édition. Ces livres témoignent du manque de clarté dans la ligne éditoriale de Champ Libre. Trois auteurs, respectivement psychiatre, comédien et historien de l’art américain, y sont publiés entre 1971 et 1973 : Wilhelm Reich avec Le Meurtre du Christ (novembre 1971), Groucho Marx et sa Correspondance (novembre 1971) et George Kubler avec Formes du Temps. Remarques sur l’histoire des choses (mars 1973). En 1974, cette hétérogénéité du catalogue s’accentue avec la publication d’une part de Daisy Miller d’Henry James – texte classique de 1878 – et de La Révolution électronique de William S. Burroughs. Ces textes contrastent avec un catalogue riche en pamphlets, essais ou ouvrages documentaires sur les mouvements politiques de l’époque. Les éditions Champ Libre « permettent à diverses formes de l’ultragauchisme de s’exprimer » (Bott 14).

La Révolution électronique de William S. Burroughs entre dans une logique contestataire et amorce une relation transatlantique pour Guégan, qui parle de ses rencontres avec l’auteur dans un de ses articles pour Sud-Ouest : «William Burroughs, lui, je le connais, pour l’avoir fréquenté entre Londres et Paris dans le début des années 70 (j’ai même une diapo couleur qui le représente en compagnie de mon ami Alphonse Boudard, ce qui n’est pas un mince exploit). » (« Lettres » 46) William S. Burroughs est l’une des figures de proue de la poésie Beat, à laquelle Guégan va s’intéresser de près.

Pendant cette période productive où il publie aussi des textes de sa plume comme La Bande à Pierrot-le-fou (1970) sous le pseudonyme Stéphane Vincentanne et La Rage au Cœur (1974), Guégan dirige la revue Cahiers du futur (1973-1974), publiée par Champ Libre. On y retrouve, à côté d’illustrations de Le Saux, un « mélange de l’underground américain et de textes politiques introuvables » (Ascendant Sagittaire 46). Cette revue serait l’une des raisons principales du « divorce » entre Guégan et Lebovici (46), l’autre étant un désaccord quant à la place de Guy Debord dans la maison, qui poussa finalement Guégan à se retirer en 1974, tandis que Le Saux et Sorin lui emboîtent le pas.

Ces années formatrices permettent à Gérard Guégan de constituer un réseau de professionnels de l’édition avec lesquels il collabore sur divers projets après son départ de Champ Libre : Alain Le Saux, Raphaël Sorin, Léon Mercadet, mais aussi Olivier Cohen, qui dirigera par la suite les Éditions de l’Olivier, ou encore Jean-François Bizot, dont il publia certains textes chez Champ Libre et qu’il fit inviter dans l’émission télévisée Apostrophes. En 1975, alors que Guégan songe à créer une nouvelle revue (Ascendant Sagittaire 172), Jean-Claude Fasquelle (à la tête de la maison d’édition Grasset-Fasquelle) lui propose de diriger la maison d’édition Le Sagittaire, qui avait publié, dans les années 1920 et jusqu’en 1951, des auteurs surréalistes comme André Breton et Alfred Jarry, mais aussi des auteurs américains comme Francis Scott Fitzgerald et Edgar Allan Poe.

Le Sagittaire, Charles Bukowski et la traduction

L’intérêt de Gérard Guégan pour la culture états-unienne est toujours vif durant ses quatre années à la tête du Sagittaire. Il y publie des auteurs de science-fiction dans la collection « Contre-coup » puis accueille Charles Bukowski dans le catalogue. Le Sagittaire s’oriente vers les littératures populaires, un choix qui s’explique, d’après un article du Monde, par le fait que « les nouveaux animateurs devaient se distinguer [du Sagittaire des années 1920-1950] par un anticonformisme marqué et publier des textes parfois très loin de l’idée qu’on se fait couramment de la littérature. » (1979)

Par exemple, huit auteurs américains, dont Kurt Vonnegut Jr., Philip K. Dick ou encore Charles Platt, se partagent les honneurs de la collection « Contre-coup », pensée pour accueillir « la science-fiction, la pornographie, etc. : les romans populaires qui exprimeront une critique radicale dans l’explosion du mauvais goût » (Bott 14). André Le Vot écrit à propos de cette collection qu’elle représente « cette Amérique fantasmatique, sinistre ou drolatique, cette Amérique en rut du millenium » (142). Le Vot évoque l’exubérance de la collection, qui apparaît aussi dans les couvertures illustrées par Alain Le Saux. On y trouve en grande majorité des livres de science-fiction.

Mais c’est en 1977-1978 que Guégan joue un rôle déterminant, à la fois en qualité d’éditeur du Sagittaire, puis de traducteur, lorsque Charles Bukowski est publié hors collection. Tandis que la maison d’édition Les Humanoïdes Associés, s’appuyant sur les traductions de Philippe Garnier, publie Le Postier et Mémoires d’un vieux dégueulasse en juin 1977, Le Sagittaire publie en septembre de la même année ses Contes de la folie ordinaire, traduit par Léon Mercadet et Jean-François Bizot. Les maisons d’édition indépendantes californiennes City Lights et Black Sparrow Press travaillent de concert avec deux agents littéraires à la publication de Charles Bukowski en France : Boris Hoffman échange avec City Lights, la maison dirigée alors par Lawrence Ferlinghetti et Nancy Peters, tandis que l’agence Benisti gère les contrats de la maison d’édition Black Sparrow Press, créée par John Martin et dont l’auteur phare est indéniablement Charles Bukowski.

En 1977, Gérard Guégan rencontre Eliane Benisti alors qu’elle vient de fonder son agence littéraire. Il lui achète les droits de Love is a Dog from Hell de Bukowski pour une somme dérisoire et décide de traduire ce recueil de poèmes, malgré des connaissances limitées en anglais (Ascendant Sagittaire 350). L’Amour est un chien de l’enfer est publié par Le Sagittaire en deux volumes, en septembre et novembre 1978, six mois après la parution des Nouveaux contes de la folie ordinaire du même auteur (traduit par Léon Mercadet). La publication à l’automne de ces deux volumes n’est pas anodine. Si la rentrée littéraire influe sur ce choix, Gérard Guégan et ses associés au Sagittaire parviennent, en outre, à convaincre l’auteur de se rendre en France pour faire la promotion de ses ouvrages.

Raphaël Sorin et Olivier Cohen organisent le passage de Charles Bukowski à Apostrophes pour une émission sur le thème de la marginalité, où l’auteur, très alcoolisé, fait sensation avant d’être promptement évacué du plateau. L’image de l’auteur est irrémédiablement associée à celle du Sagittaire en France grâce à ce moment « d’anthologie télévisuelle » (Laurent, Mousli 434) que Bukowski raconte dans son ouvrage Shakespeare Never Did This (1995). Cependant, même s’il évoque certains de ses éditeurs français en les renommant – « Rodin » ressemblant fortement à Sorin et « Jardin » (22) quelque peu à « Gérard » – Guégan reste l’homme de l’ombre.

Bukowski est l’une des grandes réussites critiques et commerciales du Sagittaire, mais cette filiale peu rentable ne servant plus les intérêts de Grasset, elle ferme en mars 1979. Guégan poursuit son travail avec les ouvrages de Bukowski lorsque les écrits de l’auteur américain sont ajoutés au catalogue de Grasset. Après la mort de l’écrivain, Guégan signe la nouvelle traduction de Journal d’un vieux dégueulasse (1996) et traduit le dernier roman de Bukowski, Pulp (1995), puis son journal, Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau (1999).

En 1978, Gérard Guégan crée par ailleurs avec son équipe une revue, qui porte de nouveau le titre Subjectif et où sont publiés de nombreux auteurs américains, comme Charles Bukowski, Richard Brautigan, Carolyn Cassady, Raymond Chandler et Jack Kerouac.

Dans sa préface à Pulp, Guégan se remémore la présentation de Bukowski à son fils. En 2015, le père et le fils traduisent ensemble Le Retour d’un vieux dégueulasse, puis Un Carnet taché de vin (2016). Guégan a traduit d’autres textes d’auteurs états-uniens, comme le long poème La Nuit d’enfer de Joseph Moncure March, illustré par Art Spiegelman (1996), et Première jeunesse de Neal Cassady (2000).

Gérard Guégan raconte ses années d’éditeurs et ses débuts de traducteur dans l’ouvrage Ascendant Sagittaire : une histoire subjective des années soixante-dix (2001). Il a récemment fait don de ses archives privées à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC).

Notice et bibliographie établies par Amélie MacaudUniversité Bordeaux Montaigne, CLIMAS (UR 4196)
Pour citer cette notice : Notice Gérard GUÉGAN (1940- ) par Amélie Macaud, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 23 septembre 2023 - dernière modification le 19 décembre 2023, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/gerard-guegan-1940/ 

Bibliographie

Traductions

BUKOWSKI, Charles. L’Amour est un chien de l’enfer : volume 1 [Love is a Dog from Hell, 1977]. Trad. Gérard Guégan. Paris : Le Sagittaire, 1978.

BUKOWSKI, Charles. L’Amour est un chien de l’enfer : volume 2 [Love is a Dog from Hell, 1977]. Trad. Gérard Guégan. Paris : Le Sagittaire, 1978.

BUKOWSKI, Charles. Pulp. [Pulp, 1994]. Trad. Gérard Guégan. Paris : Grasset, 1995.

BUKOWSKI, Charles. Journal d’un vieux dégueulasse [Notes of a Dirty Old Man, 1969]. Trad. Gérard Guégan. Paris : Grasset, 1996.

BUKOWSKI, Charles. Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau. [The Captain Is Out to Lunch and the Sailors Have Taken Over the Ship, 1998]. Trad. Gérard Guégan. Paris : Grasset, 1999.

BUKOWSKI, Charles. Le Retour d’un vieux dégueulasse. [More Notes of a Dirty Old Man, 2011]. Trad. Gérard Guégan et Alexandre Guégan. Paris : Grasset, 2015.

BUKOWSKI, Charles. Un Carnet tâché de vin. [Portions from a Wine-Stained Notebook, 2008]. Trad. Gérard Guégan et Alexandre Guégan. Paris : Grasset, 2016.

CASSADY, Neal. Première jeunesse. [The First Third, 1971]. Trad. Gérard Guégan, coll. « Domaine étranger ». Paris : Belles Lettres, 2000.

MONCURE MARCH, Joseph. La Nuit d’enfer. [The Wild Party, 1928]. Illus. Art Spiegelman. Trad. Gérard Guégan. Paris : Flammarion, 1996.

Sources Secondaires

Ouvrages

GUÉGAN, Gérard. Ascendant Sagittaire : Une histoire subjective des années soixante-dix. Paris : Parenthèses, 2001.

LAURENT, François et Béatrice MOUSLI. Les Éditions du Sagittaire : 1919-1979. Paris : Éditions de l’IMEC, 2003.

Presse

« Les éditions du Sagittaire cessent leur activité ». Le Monde, 23 mars 1979, p.35.

BOTT, François. « Le retour du Sagittaire ». Le Monde, 14 février 1975, p.14.

« Bukowski, Charles – Apostrophes1. » Daily Motion, 2009.

COMOLLI, Jean-Louis, Jean-André FIESCHI, Gérard GUÉGAN, Michel MARDORE, André TÉCHINÉ, et Claude OLLIER. « Vingt ans après : le cinéma américain et la politique des auteurs ». Cahiers du Cinéma, n° 172, novembre 1965, p. 18-32.

GUÉGAN, Gérard. « Les comptes de la comtesse ». Cahiers du Cinéma, n° 188, mars 1967, p. 60-61.

GUÉGAN, Gérard. « Lettres : Burroughs, Bernharfi, même combat… ». Sud-Ouest, 14 avril 1985, p. 46.

LE VOT, André. « Review of Harold et le rat; Cockpit; Crève l’écran; Quelle secousse!; Ça marche!, by T. Andrews, F. Lasquin, J. Kosinski, A. Rabinovitch, B. Malzberg, E. Kahane, R. Wurlitzer, M. Kalt, M. Leblond, R. Kainen, & E. Mismano ». Esprit, vol. 459, n° 7/8, 1976, p. 139-142.

Interviews  

ARDISSON, Thierry, et Gérard GUÉGAN. « Interview who’s who de Gérard Guégan ». Lunettes noires pour nuits blanches.

GUÉGAN, Gérard, Philippe JAWORSKI and Youn Sun NAH. « L’Amérique d’Hemingway au swing de Youn Sun Nah ». France Culture, 5 juillet 2017,

Revues en ligne

NooSFere. « Collection Contre-coup ».

Revues littéraires, « Subjectif (1978-1979) ».

Archives

« Fonds Grasset ». Bukowski, Charles. Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC), Caen.

« Fonds Gérard Guégan ». Portail Collections de l’IMEC,

 

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