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Henri ROBILLOT (1917-2009)

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Crédits : Source inconnue, https://www.facebook.com/groups/lesgaulois77760/posts/1026270048096425/

Henri Robillot est né à Paris en 1917. De ses études secondaires et supérieures, on sait bien peu de choses. À l’avant-veille de la Deuxième Guerre mondiale, il fréquente la Cité universitaire internationale en compagnie d’un groupe d’étudiants un peu bohème. Là, il lie une amitié durable avec Jean Pouillon, qui prépare alors l’agrégation de philosophie, cinéphile comme lui et partenaire de parties de poker nocturnes dans le grand salon aux chesterfields de la Maison canadienne. La guerre venue, il part pour le Maroc en 1941, puis Londres en 1944, où il apprend sur le tas le métier d’interprète malgré une connaissance rudimentaire de l’anglais. De retour à Paris après la Libération, il entre en 1946 comme journaliste à L’Écran français et fréquente le milieu existentialiste de Saint-Germain des Prés. En 1948, son ami Robert Scipion, intime de Jean-Paul Sartre, lui indique que « chez Gallimard, il y a un type qui vient de créer une collection de romans policiers ; il paie pas mal, il faudrait aller le voir » (Mesplède, 49). Marcel Duhamel, fondateur et directeur de la « Série Noire », reçoit Robillot dans son bureau et lui tend un David Goodis pour qu’il en traduise un chapitre sur-le-champ. Essai concluant : trois semaines plus tard, Robillot est embauché pour son premier policier, Micmac maison (1949) de Bill Goode.

Débute alors une longue association avec Duhamel. Robillot signe, souvent en collaboration avec sa femme Janine Hérisson rencontrée chez Gallimard, près de soixante-dix traductions pour la Noire. À raison de cinq ou six titres par an, les grands et moins grands noms du polar américain (et britannique) passent sous sa plume. Faute de place, il est impossible de citer ici tous les auteurs qui lui furent confiés. On retiendra bien sûr Dashiell Hammett (L’Introuvable, Le Faucon de Malte, La Moisson rouge, 1950, Sang maudit,1951), Raymond Chandler (Sur un air de Navaja, 1953, Le Jade du mandarin, Un tueur sous la pluie,1972), Chester Himes (Couché dans le pain, 1959, L’Aveugle au pistolet,1970), mais aussi William Irish (L’Heure blafarde, 1950), David Dodge (Trois tondus et un pelé, 1950, Le Calumet de la guerre, 1953), Cleve Franklin Adams (Un os dans le fromage, 1951), Ben Kerr (Faute de grives, 1953), William Campbell Gault (Le Suaire enchanté, 1954), Lionel White (Les Voraces,1955), Charles Williams (La Mare aux diams, 1956), Day Keene (Paradis à la sauvette, 1956), Jonathan Latimer (L’Épouvantable Nonne, 1956), Henry Kane (À servir frappé, 1959, La Mort à la boutonnière, 1960, C’est quelqu’un, 1961)… Comme la plupart des recrues de Duhamel – journalistes, scénaristes, dialoguistes venus du cinéma – Robillot contribue à forger le style et le ton associés pour longtemps au roman noir dans sa version « dur à cuire ». Étranger à la langue académique des traducteurs universitaires, Robillot fait la part belle au langage parlé, à l’argot des rues et au swing que lui inspirent la clarinette de Claude Luter, la guitare d’Henri Crolla, la trompette de Charlie Parker mais aussi le phrasé des écrivains qu’il admire, Céline et Queneau en tête. Hammett, dont il apprécie la sécheresse et l’implacabilité, compte également parmi les écrivains avec lesquels il se sent le plus d’affinités stylistiques.

Comme bien des traductions parues dans la « Série Noire », celles de Robillot sont parfois critiquées pour leur imprécision, voire leur caractère fantaisiste. Il est vrai que certaines s’autorisent de grandes libertés avec le texte original, surtout quand celui-ci n’est pas au goût du traducteur. Robillot raconte comment il a tout simplement réécrit

un bouquin où tous les méchants étaient des Chinois rouges, et tous les bons, des Chinois blancs vivant en Amérique. C’était tellement anticommuniste, tellement engagé politiquement, tellement réactionnaire que je me suis dit : « Merde, je fous tout en l’air. » Et j’ai chahuté complètement le livre. J’ai inversé les situations : les bons, c’étaient les rouges, et les mauvais c’étaient les blancs. Alors on n’y comprenait plus rien. Je l’ai donné comme ça, je ne sais même pas si je l’ai dit… En tout cas il est sorti comme ça et je l’ai signé « Luc Paul Dael », l’anagramme de Paul Claudel, un auteur que je déteste depuis l’adolescence. (Mesplède, 84)

Si toutes les traductions de Robillot sont loin d’être des exercices de réécriture dignes des Cahiers du Collège de ‘pataphysique dont il fut le Provéditeur-Éditeur général dès 1948, il est vrai que la verdeur de sa langue ajoute à celle souvent plus conventionnelle et prude de l’original une tonalité populaire qui fait partie intégrante de la contre-culture à laquelle le projet éditorial de Duhamel entendait donner forme. Jurons et noms d’oiseaux émaillent ainsi des textes qui, publiés aux États-Unis dans les années 1940-1950, ou parfois avant-guerre, s’interdisaient pour la plupart de tels écarts de langage. En outre, l’argot tant prisé de Robillot donne aux énoncés les plus courants une saveur inconnue de l’original, transformant par exemple un banal « I’m going to come clean with you, brother » en « Mon vieux, j’vais pas te bourrer la caisse » (Hammett, La Moisson rouge). Un « je vais être franc » aurait sans doute plus sobrement suffi, mais ce ne serait plus tout à fait la « Série Noire ». À ces altérations dues à des choix délibérés de traduction, il faut ajouter encore celles imposées par le format contraint de la collection dont chaque volume devait compter 256 pages quelle que fût la longueur de l’original. Robillot se rappelait avoir dû raccourcir d’un bon tiers de The Long Goodbye, chef-d’œuvre de Chandler, dont le titre français, Sur un air de navaja, ne fait peut-être pas seulement allusion à l’intrigue mexicaine du roman mais aux coupes claires qui furent infligées au texte (la navaja étant un long couteau à lame effilée).

Si Robillot publie beaucoup moins dans la « Série Noire » à partir de 1965, il en reste l’un des conseillers aux côtés de Robert Soulat qui reprend la direction de la collection après la mort de Duhamel en 1977. Il continue aussi de promouvoir la littérature policière chez Gallimard, fondant et dirigeant en 1963 la collection « Panique » consacrée à des textes dont les intrigues rompent avec la mythologie de la « Série Noire », ses détectives, ses bars à strip-tease, ses règlements de compte au revolver. « L’énigme proprement dite, l’action et même le dénouement, importent souvent moins qu’une atmosphère insolite ou un comportement bizarre des personnages », écrit Duhamel dans le manifeste de cette nouvelle collection. Les caractères y sont plus fouillés, plus vrais, plus ordinaires aussi, explique Robillot au micro de Maurice Renault dans l’émission Hitchcock Sélection. « On a éliminé la violence pour donner le pas à la psychologie. » La collection, qui cessa de paraître au bout de deux ans, publia plus d’une vingtaine de titres, surtout des écrivains britanniques comme John Le Carré. Il s’y trouve cependant quelques Américains dont peu sont passés à la postérité : Whit Masterson (La Mêche brûle, 1963), Nedra Tyre (Au bord des ténèbres, 1963), Henry Farrell (Six jours à vivre, 1963), Helen Eustis (La Possession, 1964), ou Dorothy B. Hughes (À jeter aux chiens, 1964).

Après la « Série Noire » et « Panique », Robillot traduit encore du polar de loin en loin mais consacre l’essentiel de son travail à d’autres genres littéraires et d’autres auteurs. La chose n’est pas nouvelle : à ses débuts, Robillot s’était déjà confronté à quelques grandes figures pour la « NRF », comme Hemingway, signant avec Duhamel dès 1949 la traduction de la nouvelle « Paradis perdu », suivie de La Cinquième Colonne. Dans la collection « Imaginaire », il publie également Un thé au Sahara (1952) de Paul Bowles, traduit avec Simone Martin-Chauffier, puis Les Chroniques martiennes de Ray Bradbury et Fahrenheit 451 (Éditions Denoël, 1954, 1966). À ces auteurs s’ajoutent à partir de la fin des années 1960 des écritures plus expérimentales et des plumes saluées par la critique universitaire. Pour la « NRF », Robillot traduit ainsi John Barth (L’Opéra flottant, 1968), Philip Roth (Portnoy et son complexe, 1970, Professeur de désir, 1979, L’Écrivain des ombres, 1981, Zuckerman délivré, 1982, Zuckerman enchaîné, 1987) et Truman Capote (Musique pour caméléons, 1982, Un Noël, 1984, Petit Déjeuner chez Tiffany, 1998, Cercueils sur mesure, 2001). Saul Bellow figure aussi en bonne place parmi les grands noms traduits par Robillot : La Planète de M. Sammler (Gallimard, 1972), Retour de Jérusalem (Flammarion, 1977), Le Don de Humboldt (Flammarion, 1978), La Journée s’est bien passée ? (Flammarion, 1985), Le Cœur à bout de souffle (Julliard, 1989). En 2005, Robillot revient à Hemingway : Histoire naturelle des morts et autres nouvelles (Gallimard, 2005). La boucle est bouclée.

À n’en pas douter, Henri Robillot compte parmi ces traducteurs à la bibliographie foisonnante qui, du policier au roman d’anticipation en passant par la littérature jeunesse et des œuvres entrées aujourd’hui dans le canon des lettres américaines, ont fait découvrir aux lecteurs français un très large échantillon de la littérature des États-Unis.

Notice et bibliographie établies par Jean-Yves PellegrinMaître de conférences en littérature américaine, traducteur, Sorbonne Université
Pour citer cette notice : Notice Henri ROBILLOT (1917-2009) par Jean-Yves Pellegrin, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 25 avril 2022 - dernière modification le 19 décembre 2023, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/henri-robillot-1917-2009/ 

Bibliographie

Bibliographie

Bibliographie des œuvres traduites par Henri Robillot : https://www.idref.fr/027103706

BLANCHER, Marc. « La Série Noire, besoin ou volonté de (re)traduction » in Polar et postmodernité. Paris : L’Harmattan, 2016, p. 137-146.

BOILEAU, Pierre et Thomas NARCEJAC. « “Panique” dans la rue ». L’Express, 22 août 1963. https://www.lexpress.fr/culture/livre/1963-panique-dans-la-rue_2032540.html

GOUANVIC, Jean-Marc. « L’Abrégement de The Long Goodbye (1953/1954) par Henri Robillot et Janine Hérisson. Sur un air de navaja, 1954 ». Hard-boiled fiction et Série noire. Les métamorphoses du roman policier anglo-américain en français (1945-1960). Paris : Classiques Garnier, p. 181-219.

MESPLÈDE, Claude. Les Années « Série Noire », vol. 1 (1945-1959). Amiens : Encrage Édition, 1995.

ROBILLOT, Henri. « Un Provocateur ». Les Temps Modernes, n° 626-621, 2002, p. 33-36.

SORIN, Raphaël. « Duhamel et ses hommes de mots ». Le Monde, 22 avril 1985. https://www.lemonde.fr/archives/article/1985/04/22/duhamel-et-ses-hommes-de-mots_2748902_1819218.html

Hitchcock Sélection. Il y a un assassin parmi nous, émission radiophonique diffusée sur la RTF le 26 juin 1963. Réalisation : Gilbert Cazeneuve. https://madelen.ina.fr/programme/il-y-a-un-assassin-parmi-nous

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