Association (loi 1901) créée en octobre 1983, à Aix-en-Provence, par Annie Terrier, Les Écritures croisées organisent chaque année la Fête du livre, sa manifestation phare, mais aussi d’autres événements autour de la littérature (hommages, rencontres, cartes blanches et accueil des Belles Étrangères). Résolument ouverte à la littérature étrangère, la Fête du livre a accueilli, parmi ses plus célèbres invités, de nombreux écrivains des États-Unis, leur donnant une tribune prestigieuse.
Création
Après une maîtrise en sciences sociales, Annie Terrier prend une part active à la vie artistique d’Aix-en-Provence dans les années 1970, et notamment au Centre d’action culturelle (CAC), créé en 1972 dans le cadre de la politique résolument sociale lancée par André Malraux, ministre d’État chargé des affaires culturelles depuis 1959. Baptisée le Relais culturel du fait de son installation dans un ancien relais de poste, la structure aixoise est alors l’un des premiers CAC financés à part égale par l’État et une municipalité. Ses membres travaillent notamment à organiser des manifestations (conférences, arts de la rue, musique, spectacles…) largement ouvertes sur la ville. Malgré le foisonnement de ses activités artistiques et l’investissement de ses acteurs, le Relais culturel ne peut éviter, en 1980, le retrait définitif du soutien municipal, suivi par celui de l’État. Le CAC devient alors une association, Rencontres, qui organise une première « Fête du livre » en juin 1980, à la Fondation Vasarely : la manifestation programme des écrivains régionaux et rencontre un franc succès, réédité en 1981 malgré les difficultés rencontrées.
En 1983, Annie Terrier reprend le flambeau de la Fête du livre, organisant, à la force du poignet, une édition intitulée « Mille et un livres » au cœur même de la ville, au Collège des Prêcheurs, véritable acte de naissance de la manifestation actuelle. En 1985, l’association Rencontres renaît sous l’appellation Les Écritures croisées, et la Fête du livre s’affirme d’année en année. Après avoir d’abord organisé l’événement au Collège des Prêcheurs, puis à l’École des Beaux-Arts et au Palais de Justice, Annie Terrier finit par trouver un lieu pérenne tant pour son association que pour ses manifestations, en 1993, à la Cité du livre qui s’installe dans les locaux réhabilités d’une ancienne fabrique d’allumettes ; l’espace, qui comprend la bibliothèque Méjanes et plusieurs structures dédiées à la littérature ou au cinéma, est alors idéal pour accueillir le travail des Écritures croisées, résolument placé au carrefour des arts. L’amphithéâtre de la Verrière, à la Cité du livre, accueille ainsi un public chaque année de plus en plus nombreux.
Le choix de la littérature étrangère
En 1984, soucieuse de ne pas enfermer la Fête du livre dans la veine régionale qui avait fait le succès de sa première édition, en 1980, Annie Terrier fait le choix de lui donner une identité internationale : elle inaugure alors une formule dans laquelle des auteurs étrangers sont entourés d’écrivains et artistes français ; toute la manifestation est alors conçue pour les faire dialoguer, pour « croiser leurs écritures » et les présenter à un public aixois qui, très vite, en redemande. Dès 1988, les Écritures croisées s’emploient à préparer la Fête du livre plusieurs mois en amont en impliquant notamment les lycées et les différents acteurs de la faculté des lettres de l’université d’Aix-Marseille : des rencontres sont organisées avec élèves et étudiants afin de présenter les futurs invités, leurs œuvres et leur donner ainsi un avant-goût de ce que sera la manifestation, tandis que des enseignants spécialistes sont invités à participer aux débats prévus. Les libraires aixois sont également associés et tiennent des stands où des séances de signatures sont organisées ; des théâtres aixois programment des spectacles. La ville tout entière vit ainsi à l’heure de la Fête du livre pendant trois jours chaque année à l’automne et célèbre des écrivains qui viennent du monde entier. Car la grande force de la Fête du livre est de privilégier la rencontre entre des écrivains et leur public, et de multiplier, pour cela, les occasions de faire résonner la voix des invités et de tous les participants qui les entourent : le programme comprend des tables rondes thématiques, des lectures d’œuvres, des débats entre écrivains mais aussi avec leurs lecteurs, des expositions ou encore une diffusion de films en lien avec la thématique de chaque festival, et, depuis 1999, une masterclass.
La programmation de la Fête du livre demeure aujourd’hui exceptionnelle, et l’on ne peut en donner ici qu’un aperçu nécessairement incomplet : ont été accueillis, au fil des ans, nombre de Prix Nobel tels que Gao Xingjian, Toni Morrison, Kenzaburô Ôé, V. S. Naipaul, Günter Grass, Octavio Paz, Wole Soyinka ou, récemment, Orhan Pamuk, mais aussi Salman Rushdie, Jorge Semprun, Antonio Tabucchi, Philippe Jacottet, Mario Vargas Llosa, John McGahern, Satyajit Ray, Luis Sepúlveda, Zoé Valdès, André Brink ou encore Mo Yan.
Des écrivains étasuniens
Depuis leur création, les Écritures croisées font une large place à la littérature des États-Unis. En 1986, trois ans seulement après la première, Annie Terrier parvient à réunir un programme à couper le souffle : à l’affiche d’une manifestation intitulée « Les écritures transatlantiques », on compte les écrivains David Applefield, John Ashbery, James Baldwin, Robert Coover, Jerome Charyn, Lydia Davis, Kenneth Koch, Grace Paley, Jayne Anne Phillips ou encore Robert Steiner, entourés du saxophoniste Bud Shank et de la violoncelliste Irène Aebi. Pour présenter les auteurs, animer les tables rondes et parfois même assurer la traduction simultanée des propos tenus, la manifestation fait appel à certains des plus grands spécialistes de la littérature des États-Unis que compte l’université française : Marc Chénetier, Maurice Couturier, Philippe Jaworski ou encore Claude Richard font ainsi œuvre de « passeurs » d’une nouvelle littérature étasunienne encore peu diffusée en France, mais qu’ils connaissent et travaillent déjà. Enfin, on note la présence de Michel Butor, Michel Deguy ou Annie Cohen-Solal, venus croiser leurs voix avec celles de leurs homologues étrangers.
En 1996, c’est au tour de Rick Bass et Jim Harrison de venir faire entendre leurs textes et leurs voix dans une manifestation intitulée « De l’Acadie aux grands lacs », entourés des écrivains québécois Claude Beausoleil, Jean-Paul Daoust, Pierre Morency et Marie-Claire Blais, ainsi que de Dany Laferrière. Un éditeur (Christian Bourgois), des traducteurs (Brice Matthieussent et Gérard Meudal), un journaliste spécialiste de musique noire américaine (Laurent Rigoulet) apportent leurs éclairages respectifs et matérialisent l’existence de ces relais nécessaires pour qu’une littérature du bout du monde trouve sa place en France, en français, et sur les rayons des librairies.
Philip Roth est ensuite l’invité d’honneur de la Fête du livre de 1999 qui programme une « Roth explosion » et inaugure avec lui la formule de la masterclass : grâce à la complicité de Roth qui se livre à l’exercice avec curiosité et humour, ce nouveau rendez-vous entre un auteur et ses lecteurs obtient un succès mémorable. Pendant trois jours, lui donnent la réplique les écrivains Masolino D’Amico, Jonathan Brent, Ross Miller, Michaël Zeeman ou Ted Solotaroff. Antoine Gallimard est présent ainsi que Christine Jordis, Alain Finkielkraut ou encore Josyane Savigneau, dans une édition qui, une fois de plus, met un écrivain dans la lumière des projecteurs tout en donnant la parole à ceux qui œuvrent, de diverses façons, à la diffusion de la littérature étrangère. Ce sont alors André Bleikasten et Pierre-Yves Pétillon qui portent la voix des universitaires français, entourés de collègues venus d’Allemagne ou des États-Unis.
En 2001, c’est « Le regard de Toni Morrison » que les Écritures croisées font briller à Aix-en-Provence. Les universitaires Claudine Raynaud, Hélène Christol, Pierre-Yves Pétillon et Anne Wicke viennent éclairer son œuvre et contribuer à l’animation des débats auxquels participe également le metteur en scène Peter Sellars, tandis que l’acteur François Marthouret lit les textes de Morrison ou que la soprano étasunienne Kathleen Battle lui offre sa voix. La manifestation a définitivement trouvé le mélange parfait qui fait sa signature, entre hommage rendu à l’une des plus puissantes et singulières voix de la littérature étasunienne et véritable partage avec ceux qui sont à même de magnifier son œuvre tout en la rendant accessible à un vaste public.
En 2004, « Une autre Amérique » est mise à l’honneur : autour de Russell Banks, invité d’honneur, se trouvent William Kennedy, Richard Price, Ishmael Reed, le poète C. K. Williams, la chanteuse et écrivaine Patti Smith ou encore le photographe Nathan Farb. Gérard Desarthe et Hanna Schygulla se chargent des lectures de ces textes qui suscitent l’enthousiasme du public aixois, Pierre Furlan apporte son expertise de traducteur et l’universitaire Michel Fabre anime des débats.
La Fête du Livre de 2019, baptisée « Ce qui dévore nos cœurs », se met à l’heure des nations premières de l’Amérique du Nord en accueillant l’écrivaine Louise Erdrich, entourée de la réalisatrice documentariste Alanis Obomsawin, dont certains films sont projetés (Kanehsatake, 270 ans de résistance, 1993 et Le chemin de la guérison, 2017), de l’écrivaine Lisa Halliday et du romancier Nurrudin Farah. Michel Feith, universitaire, et Isabelle Reinharez, secondés par divers critiques littéraires (Caroline Broué, Raphaël Bourgois, Gérard Meudal et Michel Schneider), dialoguent avec Erdrich, particulièrement sollicitée par ses lecteurs lors des séances de questions. La manifestation est également l’occasion d’un hommage à Toni Morrison par Philippe Jaworski et Dominique Bourgois, éditrice de Morrison en France. Enfin, l’édition 2021 de La Fête du livre, intitulée « L’autre moitié du soleil », accueille l’écrivaine nigériane-américaine Chimamanda Ngozi Adichie pour une manifestation qui pose la question de l’écriture de l’histoire et fait entendre, notamment dans plusieurs films diffusés en marge des débats, les voix d’une nouvelle Afrique. L’universitaire Fanny Roblès apporte un éclairage sur les romans de l’écrivaine et, en compagnie de Gérard Meudal notamment, anime des débats avec un public très nombreux.