Née Gottlieb d’un père tchèque et d’une mère hollandaise, Mary Kling grandit en Angleterre et aux États-Unis. Dans le cadre d’un diplôme en histoire de l’art qu’elle prépare à Smith College dans le Massachusetts, elle part étudier une année à Paris en 1956 à l’École du Louvre. De retour aux États-Unis, elle est engagée par l’éditeur indépendant George Braziller, et édite alors des livres d’art et d’architecture. Décidant de revenir à Paris en 1960, elle y travaille dans premier temps comme représentante et scout pour Braziller, pour qui elle obtiendra notamment les droits de traduction de Les mots de Jean-Paul Sartre (1964).
En 1966, Françoise Giroud la recrute à L’Express où elle est chargée des droits de prépublication, en d’autres termes, de la publication de bonnes feuilles d’ouvrages dont le magazine fait la promotion. Kling y restera quelques années, avant de fonder en 1972 La Nouvelle Agence avec Rainer Heumann de Mohrbooks à Zurich et Erich Linder, alors président de la grande agence italienne Agenzia Letteraria Internazionale (ALI). Dès les débuts, La Nouvelle Agence se spécialise dans la littérature de langue anglaise – en 1984, elle estime que 70% de ses ventes sont des titres anglo-américains. Dans un paysage français de co-agents – négociant les droits de langue française auprès des agents premiers et éditeurs états-uniens – encore dominé par les agences Bradley et Hoffman, et où déjà s’est installée à la fin des années soixante Michelle Lapautre, cette agence est résolument novatrice car elle offre aux auteurs la possibilité de vendre leurs droits étrangers sur plusieurs marchés en Europe, français, italien, suisse, allemand et autrichien. En outre, elle bénéficie de l’immense catalogue de ALI. Cette association s’avère fructueuse, permettant à Kling de représenter en France des auteurs italiens comme Italo Calvino ou Giorgio Bassani, ou encore Alexandre Soljenitsyne dont les droits sont gérés par Erich Linder. Bien que la majeure partie de son activité soit la négociation avec les agences étrangères de droits français d’auteurs étrangers, elle agit aussi en qualité de représentante d’auteurs – Monique Wittig, Nancy Huston – notamment aux États-Unis. Parlant couramment l’anglais, l’allemand et le français, lisant et comprenant le hollandais, Kling incarne une figure réellement cosmopolite. Mariée à l’architecte français Jean Kling et installée à Paris, elle est comme Michelle Lapautre capable de saisir les spécificités des cultures éditoriales de part et d’autre de l’Atlantique. Dès 1975, elle a pour partenaires certaines des plus grandes et anciennes agences anglo-américaines – Curtis Brown, Brandt & Brandt, McIntosh & Otis à New York, et à Londres, A.M. Heath, et la pionnière A.P. Watt, fondée dans les années 1870.
Comme de nombreux co-agents, le catalogue de l’agence Kling offre un mélange de bestsellers, et de « coups ». Parmi les auteurs populaires dont certains s’adonnent avec succès à déplier de longues séries, on notera dans les années 1970 et 1980, Walter F. Murphy, Le Vicaire du Christ, Frank G. Slaughter, auteur prolifique de polars médicaux (Filles de chirurgien, paru en France aux Presses de la Cité), puis la nouvelle reine du genre, Mary Higgins Clark. En 2002, alors que tous les éditeurs le refusent à la foire de Frankfort, Michèle Kanonidis de La Nouvelle Agence vend les droits du Da Vinci Code de Dan Brown à l’éditrice Isabelle Laffont. Paru chez Jean-Claude Lattès en 2004, l’ouvrage se vend à plus de 850 000 exemplaires en quelques mois seulement. L’agence est aussi à la manœuvre pour les droits français des Chroniques de Bob Dylan, dont le premier tome paraît en 2005 chez Fayard.
À ces succès de librairie s’ajoute une littérature plus exigeante : Albin Michel achète à l’agence les droits français du premier roman de Steven Millhauser, La Vie trop brève d’Edwin Mulhouse qui obtient en 1975 le Prix Médicis Étranger. Dans les années 1980, La Nouvelle Agence négocie les droits français pour Gore Vidal (Création, chez Grasset), Saul Bellow (L’hiver du doyen, Flammarion) ou Joseph Heller (Franc comme l’or, Grasset). Dans les années 2000, l’agence œuvre à la vente des droits des écrivaines Rikki Ducornet – également illustratrice, notamment pour Robert Coover (La Bonne et son maître) – et Paula Fox. Avec Michelle Lapautre, Mary Kling appartient à la deuxième génération de co-agents qui ont su, à partir des années 1960, développer la profession en France et se faire une place dans un marché des droits étrangers en pleine expansion.