Maurice Gonnaud, décédé en 2017, a contribué pendant plus de cinquante ans à la connaissance de la littérature du dix-neuvième siècle, plus spécialement du transcendantalisme états-unien.
Né en 1925 à Saint-Just-la-Pendue, dans les monts du Lyonnais, il fait ses études secondaires au lycée de Roanne (1936-43), puis au lycée du Parc à Lyon (1943-45). Il vit douloureusement les années de l’occupation allemande, particulièrement éprouvantes dans la cité lyonnaise. Son intérêt pour la littérature des États-Unis est dû en partie à cette expérience, et à celle de la Libération. Reçu en 1945 au concours d’entrée de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, il choisit l’anglais dans un souci de s’ouvrir au monde, après le repliement des années de guerre. Il étudie et enseigne à Edimbourg et à Reading (1946-48), avant de passer avec succès l’agrégation d’anglais en 1949.
Il enseigne l’anglais au lycée Lyautey de Casablanca, puis la littérature française à Bryn Mawr College, à proximité de Philadelphie (1951-53). Il s’y initie à l’étude de la littérature états-unienne en suivant les cours de son jeune collègue Warner Berthoff, tout fraîchement émoulu de Harvard, avec lequel il conservera de solides liens d’amitié jusqu’à sa mort (Berthoff lui survivra d’un an). À la recherche d’un sujet de thèse, il se tourne vers le transcendantalisme, guidé par Robert Spiller, professeur à l’Université de Pennsylvanie qui contribua à établir la littérature « américaine » comme véritable champ disciplinaire outre-Atlantique.
Après ces années décisives aux États-Unis, Maurice Gonnaud est nommé assistant à la Faculté des Lettres de Dijon (1953-59), puis est détaché au CNRS (1959-61). Pendant ces années, il travaille (comme il était de règle à l’époque) à deux thèses qu’il soutiendra en 1964 : sa « thèse complémentaire » sur un auteur anglais, « Sir John Suckling, Cavalier Poet of Love », et sa thèse principale, Individu et société dans l’œuvre de R.W. Emerson, essai de biographie spirituelle.
En 1961, Maurice Gonnaud est nommé chargé d’enseignement à l’Université de Lyon, l’une des deux universités qui ont été pionnières dans l’enseignement de la littérature américaine, avant même la Seconde Guerre mondiale. Il y enseignera comme maître de conférences, puis comme professeur, jusqu’à sa retraite en 1986, résistant ainsi aux sirènes parisiennes qui attireront dans la capitale nombre de ses collègues. Toujours soucieux de s’ouvrir sur l’extérieur, il dirige le cours pour étudiants étrangers de 1965 à 1973, et accueille sous l’égide du programme Fulbright nombre de professeurs américains, le premier étant James Woodress, grand spécialiste de Willa Cather notamment, en 1962. Son enseignement contribue à faire connaître une littérature et une culture états-uniennes qui ont été longtemps le parent pauvre des études anglaises, et qui pendant ces années gagnent peu à peu en prestige et en légitimité.
Ce souci de promouvoir les études américaines l’amène également à s’investir dans plusieurs structures nationales : l’Association Française d’Études Américaines, qu’il a contribué à fonder et dont il est élu président en 1976, et la Revue Française d’Etudes Américaines, qu’il lance avec d’autres la même année. En 1980, il devient président de l’Association Européenne d’Études Américaines, où son action prend une stature internationale. Il était particulièrement fier d’avoir pu y associer des collègues de l’Europe de l’Est, notamment de Pologne, pour qui l’Association constituait alors un moyen précieux de communication avec le monde occidental. Il y a d’ailleurs fait un séjour de quinze jours dès 1977 pour s’assurer de leur venue.
Ce bref résumé d’un parcours exemplaire suffira à faire apparaître la constance et l’énergie avec lesquelles Maurice Gonnaud a mené ce combat. Dans le même temps, il multiplie les liens avec les États-Unis. Un jumelage entre l’Université de Lyon et celle de Caroline du Nord lui permet d’enseigner à Chapel Hill en 1969-70, et à nouveau en 1988. En 1970, il est invité par le Professeur Woodress à l’Université de Californie à Davis. En 1985, il est « Visiting Professor » à Harvard et participe à un séminaire inter-universitaire organisé sur le thème de la réception de la littérature américaine en Europe. En 1986, les services culturels américains l’invitent, dans le cadre des conférences Bartholdi, à définir l’image française de la liberté devant des auditoires universitaires. C’est pour lui un moyen de souligner ce qui rapproche les cultures française et états-unienne, tout en soulignant la spécificité de chacune d’entre elles.
C’est cependant dans son domaine de recherche que Maurice Gonnaud a laissé sa marque la plus durable. Si la littérature des États-Unis avait conquis sa place au soleil, à partir des années 1960, elle se résumait pour beaucoup à la production moderne et contemporaine. Maurice Gonnaud a été l’un de ceux (assez rares) qui ont corrigé cette tendance et montré la richesse de la « Renaissance américaine », pour reprendre le terme en usage aux États-Unis, tout particulièrement du transcendantalisme. Sa thèse sur Emerson, publiée dès 1964, a ouvert un champ immense ; elle n’a été traduite en anglais qu’en 1987, sous le titre An Uneasy Solitude: Individual and Society in the Work of Ralph Waldo Emerson (Princeton University Press) ; mais elle a immédiatement été saluée outre-Atlantique comme une contribution essentielle aux études emersoniennes, car il s’agissait tout à la fois d’une démarche analytique, qui mettait en lumière nombre de textes (alors) non publiés, et d’une synthèse limpide qui permettait de comprendre la cohérence paradoxale d’une œuvre contradictoire et (pour beaucoup) insaisissable. L’œuvre d’Emerson avait souvent été lue hors contexte ; Maurice Gonnaud la restituait dans son environnement religieux, politique, économique et culturel ; cela le conduisait parfois à s’élever contre des lectures américaines de l’œuvre qui trouvaient malheureusement, selon lui, un écho favorable en France : celles de critiques trop enclins à se limiter aux essais les plus lus, faisant fi du reste de l’œuvre, que lui-même connaissait dans ses recoins les plus obscurs.
Maurice Gonnaud ne s’est guère écarté de son sillage initial, et ses publications, après celle de sa thèse, sont assez modestes. En revanche, il a accepté de diriger des thèses portant sur des sujets fort éloignés de son domaine de recherche, comme celle de Patricia Bleu-Schwenninger soutenue en 1987, L’Ecriture autobiographique de Dos Passos : figures et modulations. C’est peut-être là que son rôle de passeur a été le plus constant : celui d’un directeur de recherche attentif, exigeant, mais bienveillant et ouvert.