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Michel GRESSET (1936-2005)

Crédits : Collection privée, D.R.

Né à Versailles en 1936, Michel Gresset fait ses études à Paris. Reçu major à l’agrégation d’anglais en 1959, il passe le concours de traducteur de l’ONU mais choisit finalement la carrière universitaire : il inscrit une thèse de doctorat d’État à Paris IV sous la direction de Maurice Le Breton (1899-1978), intitulée « La Tyrannie du regard ou la relation absolue : Origine, émergence et persistance d’une problématique du mal dans l’œuvre de William Faulkner », qu’il soutient en 1976. Enseignant à Dijon, puis maître-assistant à la Sorbonne, Michel Gresset devient professeur de littérature américaine à l’Institut Charles V de l’Université Paris VII.

Esprit foncièrement curieux, il se passionne dans les années 60 pour la littérature des États-Unis alors que celle-ci était relativement peu étudiée dans l’Université française même si quelques-uns travaillaient à l’y faire reconnaître, parmi lesquels Maurice Le Breton, Jean-Jacques Mayoux, André Le Vot, Roger Asselineau, Jacques Cabau, Maurice Gonnaud, Claude-Edmonde Magny et Laurette Véza. Emboîtant le pas à ces pionniers et suivant son intérêt propre pour la philosophie, Michel Gresset traite dans sa thèse de doctorat des aléas de l’idéalisme dans la fiction de William Faulkner, donnant à la notion d’idéalisme sa double acception psychologique et philosophique. Par la suite, il continue d’explorer cette question dans des travaux personnels ou collectifs où l’idéalisme est envisagé aussi dans ses implications idéologiques (Faulkner and Idealism). Au début de sa longue et fructueuse carrière de faulknérien, Michel Gresset est plongé dans l’exceptionnelle effervescence théorique qui règne en France dans les années 1970 et vient féconder l’étude des œuvres littéraires. De Gérard Genette, Roland Barthes, Roman Jakobson, Michel Foucault, Gilles Deleuze et Jacques Lacan, c’est sans doute Lacan et sa conceptualisation freudienne du rapport à l’imaginaire qui représente la plus puissante source d’inspiration pour Michel Gresset. Dans sa thèse, puis dans Faulkner ou la fascination, poétique du regard (1982), un livre qui a fait date dans les études faulknériennes, Gresset croise les approches de la psychanalyse et celles de la phénoménologie pour dégager dans la fiction de Faulkner une relation fondamentale : le rapport d’un sujet placé sous le regard et la domination d’un objet paré imaginairement de la puissance du phallus. Si cette approche est tributaire de l’approche freudienne de l’imaginaire, il est notable que Michel Gresset fait avant tout œuvre de critique : il n’utilise pas la littérature pour y chercher la vérification d’une hypothèse théorique. Il part de la particularité du texte, de ses choix formels, de l’organisation de son récit, de l’étrangeté de son style, pour montrer comment, par leur forme même, certains textes peuvent saisir les points aveugles d’un sujet contradictoire, divisé, opaque à lui-même et stupéfait devant l’opacité du réel.

Michel Gresset était « faulknérien » mais aussi, et plus largement, spécialiste des littératures du Sud des États-Unis. Par ses préfaces, essais et traductions, il a contribué à faire découvrir au public français Eudora Welty, Flannery O’Connor, Shelby Foote, Reynolds Price, Fred Chappell et Heather Ross Miller. Gresset combattait dans ses écrits une vision exotique du Sud où l’étrangeté se résumerait à un ensemble de clichés qui seraient finalement bien reconnaissables pour le public français : au contraire, le « Sud selon Gresset » est un espace intertextuel où les écritures du Sud s’imitent, se parodient, se répondent. Surtout, Gresset nous propose de voir dans les fictions du Sud non pas un miroir mimétique où se retrouveraient une région, ses figures et ses paysages connus, mais plutôt un « topos littéraire » (« Le Sud comme ‘topos’ littéraire »), un lieu à la fois familier et étrange, une « caserne vide » disait Faulkner, où se remémorent et se ruminent les divisions, les contradictions, les violences, les ambivalences et déchirements que produit l’histoire : « Faulkner n’est pas du Sud », écrit Gresset. « Il est seulement dans le Sud comme l’homme est dans la condition humaine, en contradiction permanente. » (« La métaphore du sujet » 166)

D’entrée de jeu, Michel Gresset est aussi traducteur. Pour lui, scruter la phrase, prêter attention à son rythme, percevoir l’orchestration des voix et des registres, respecter les « principes organisateurs » du texte sont des tâches que traducteur et critique littéraire ont en partage. À propos de la retraduction de Sanctuary de Faulkner, il affirme l’unité des deux démarches :

Que conclure, sinon que ce primat que j’accorde à la mise en scène dans l’entreprise de retraduction des œuvres de Faulkner suit en droite ligne la découverte de l’importance primordiale du rôle joué par la fascination dans la création romanesque faulknérienne ? Car mettre en scène, ce n’est pas autre chose qu’organiser l’espace afin d’y représenter un drame. Et le rôle d’un retraducteur me paraît être avant tout de restituer une œuvre à ce qu’elle recèle de principes organisateurs. (« Retraduire, (re)mettre en scène » 42)

De ce point de vue, la rencontre de Michel Gresset avec Maurice-Edgar Coindreau à la fin de l’année 1962 est à la fois le début d’une grande amitié et la révélation de cette double vocation de critique et de traducteur. Dans sa préface à Mémoires d’un traducteur, Michel Gresset raconte comment il fait la connaissance de Coindreau à Paris « le dernier jour de l’année 1962 » par l’entremise de Michel Butor (Préface, Mémoires d’un traducteur i). Gresset voit en Coindreau l’« ambassadeur itinérant de la culture américaine en France » (vii), le découvreur de nouveaux écrivains états-uniens pour le compte de Gallimard dans les années 30, mais aussi le traducteur doté d’une connaissance intime de la littérature française, qui allait « de Rabelais et des classiques (…) jusqu’aux contemporains qu’il avait connus » et qui lui permettait « de recourir à une citation pour traduire quelques mots » (ix). À de multiples occasions, Michel Gresset rend hommage à l’ami, modèle et mentor, au passeur par excellence (« Maurice Edgar Coindreau, traducteur ou “passeur” ? » 385). Pour le premier volume des Œuvres romanesques de Faulkner, paru dans la collection « La Pléiade » en 1977, il collabore avec Coindreau pour revoir les anciennes traductions que ce dernier avait faites de Sartoris, Le Bruit et la Fureur, Tandis que j’agonise, manière de parachever le compagnonnage avec son aîné. Michel Gresset traduit par la suite bien d’autres textes de Faulkner ainsi que d’autres écrivains du Sud des États-Unis, dont Eudora Welty, Flannery O’Connor, Fred Chappell et Heather Ross Miller. Entre 1993 et 1999, Michel Gresset dirige au Mercure de France avec Philippe Jaworski la collection « Bibliothèque américaine ». Conçue comme hommage et pendant à la « Bibliothèque anglaise » de Pierre Leyris, la collection publie avant tout des traductions inédites de Walt Whitman, Willa Cather, Conrad Aiken, Herman Melville, Galway Kinnell, John Peale Bishop, William Dean Howells, Chris Offutt, D’Arcy McKnickle, Fanny Howe, et Lafcadio Hearn. Philippe Jaworski se charge du XIXe siècle et Michel Gresset du XXe, tout particulièrement de Conrad Aiken ou John Peale Bishop, deux de ses auteurs fétiches.

Soucieux que la profession de traducteur jouisse d’une plus grande reconnaissance institutionnelle et que les traducteurs sortent de l’anonymat, Michel Gresset préside un temps l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF). En 1981, avec Marc Chénetier, Philippe Jaworski et Didier Coupaye, il est à l’initiative de la création du prix Maurice-Edgar Coindreau, qui récompense chaque année le meilleur livre américain en traduction française. Dès sa création en 1983, Michel Gresset s’engage dans l’association Atlas, qui organise chaque année les assises de la traduction littéraire en Arles. À l’Institut Charles V de Paris VII, où il enseigne, il crée à la fin des années 1980 le premier DESS de traduction littéraire de France, préfigurant la création du master de traduction littéraire que dirigera ensuite Jean-Pierre Richard à partir de 2002. Au-delà de ses travaux critiques, Michel Gresset a aussi joué un rôle important dans le développement des études sur Faulkner en France et, plus largement, en Europe : en mai 1980, Michel Gresset organise le premier colloque international consacré à Faulkner, qui sera suivi d’autres événements scientifiques réunissant des universitaires européens et états-uniens à Salamanque, Bonn, Rome, Vienne et Venise. La trajectoire audacieuse de Michel Gresset laisse apercevoir la pente de plusieurs désirs insistants, sur lesquels il n’a pas cédé, pour reprendre une expression lacanienne qu’il n’aurait sans doute pas désavouée :  le désir de faire œuvre, de creuser un sillon singulier, mais aussi la volonté de créer des « familles », faire vivre des compagnonnages, et voir reconnaître à ces entreprises collectives la plus grande dignité possible.

Notice et bibliographie établies par Aurélie GuillainProfesseure de Littérature, Université Toulouse Jean-Jaurès
Pour citer cette notice : Notice Michel GRESSET (1936-2005) par Aurélie Guillain, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 26 octobre 2023 - dernière modification le 3 avril 2024, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/michel-gresset-1936-2005/ 

Bibliographie

Sélection d’ouvrages, d’articles et de préfaces

GRESSET, Michel. « Le ‘Parce que’ chez Faulkner et le ‘Donc’ chez Beckett ». Les Lettres nouvelles, novembre 1961, p. 124-138.

GRESSET, Michel. « Les deux pôles de l’idéalisme faulknérien », in La Tyrannie du regard ou la relation absolue : origine, émergence et persistance d’une problématique du mal dans l’œuvre de William Faulkner. Thèse de doctorat, dir. Maurice Le Breton, Université Paris IV, 1976.

GRESSET, Michel. Notice, notes et variantes, Sartoris, Le Bruit et la fureur, L’Appendice Compson, Sanctuaire, Tandis que j’agonise, William Faulkner, Œuvres, vol I., coll. « La Pléiade ». Paris : Gallimard, 1977.

GRESSET, Michel.  Faulkner ou la fascination : pour une poétique du regard. Paris : Klincksieck, 1982.

GRESSET, Michel. « La métaphore du sujet ». L’Arc, W. Faulkner, 84-85, 1983, p. 123-135.

GRESSET Michel, Patrick S.J. SAMWAY, dir. Faulkner and Idealism, Perspectives from Paris. Jackson : University Press of Mississippi, 1983.

GRESSET, Michel. Préface. Eudora Welty. L’Homme pétrifié. Paris : Flammarion, 1986.

GRESSET Michel. William Faulkner : Ontologie du discours. Delta n°25.  Université Paul Valéry, Montpellier, 1987.

GRESSET Michel. Fascination: Faulkner’s Fiction (1919-1936). Chapel Hill : Duke University Press, 1989.

GRESSET, Michel. « Retraduire, (re)mettre en scène ». Palimpsestes vol. 4, 1990. p. 33-44.

GRESSET, Michel. Préface, Maurice-Edgar Coindreau. Mémoires d’un traducteur. Entretiens avec Christian Guidicelli. Paris : Gallimard, 1992, p. i-xv.

GRESSET, Michel. « Le Sud comme ‘topos’ littéraire ». Europe n°816, avril 1997, p. 24-31.

GRESSET, Michel et Jacques POTHIER. Notice et notes, Le Hameau, William Faulkner, Œuvres, vol I., coll. « La Pléiade ». Paris : Gallimard, 2000.

GRESSET, Michel. « L’autoportrait chez Faulkner ». Sillages critiques vol. 2, 2001, p.153-159.

GRESSET, Michel. « Maurice Edgar Coindreau, traducteur ou “passeur” ? ». Figures du passeur. Dir. Paul Carmignani. Perpignan : Presses universitaires de Perpignan, 2002, p. 385-392.

GRESSET, Michel. Vie et œuvre d’Henry Miller. Paris : République des Lettres, 2012.

 Sélection de traductions

CHAPPELL, Fred. Lumières [Moments of Light, 1980]. Trad. Michel Gresset et Gérard Petiot. Paris : Bourgois, 1994.

FAULKNER, William. Idylle au désert [Uncollected Stories, 1980]. Trad. Maurice-Edgar Coindreau, Didier Coupaye, Michel Gresset, François Pitavy. Paris : Gallimard, 1985.

FAULKNER, William. Les Marionnettes [The Marionettes: a One Act Play, 1975]. Trad. Michel Gresset. Paris : Gallimard, 1997.

FAULKNER, William. Le Hameau, Le Père Abraham [The Hamlet, 1940 ; Father Abraham, 1980]. Trad. Michel Gresset et Didier Coupaye. Œuvres, vol III., coll. « la Pléiade », Paris : Gallimard, 2000.

O’CONNOR, Flannery. Romans et nouvelles. Trad. Maurice-Edgar Coindreau, Henri Morisset, Claude Fleurdorge, Michel Gresset et Claude Richard, coll. « Quarto », Paris : Gallimard.

ROSS MILLER, Heather. À l’autre bout du monde [Gone a Hundred Miles]. Trad. Michel Gresset. Paris : Gallimard, 1970.

ROSS MILLER, Heather. La Jupe espagnole : sept nouvelles. [La Jupe Espagnole]. Trad. Michel Gresset. Mare Nostrum, 1990.

WELTY, Eudora. L’Homme pétrifié [A Curtain of Green, 1941]. Trad. Michel Gresset et Armand Himy. Paris :  Flammarion, 1986.

 

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