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Monique NATHAN (1924-1970)

Crédits : (c) Seuil

Durant presque deux décennies, de 1953 jusqu’à son décès prématuré des suites d’un cancer, Monique Nathan a été une cadre essentielle pour l’essor des éditions du Seuil. Dans cette maison qui connaît son vrai départ en 1945, son action est décisive dans le domaine des littératures de langue anglaise. Selon le témoignage d’un de ses collègues, Michel Chodkiewicz, elle a contribué à « dessiner une politique » éditoriale pour le domaine étranger du Seuil. Critique, journaliste (de presse écrite et radiophonique), essayiste, éditrice, traductrice, directrice de collections, son professionnalisme est rapidement respecté par un large réseau d’auteurs, d’autrices et d’éditeurs internationaux, d’abord aux États-Unis et ceci malgré les empêchements que la maladie lui impose dès le début des années 1960, puis, plus régulièrement à compter de 1965. Il s’agit des seuls éléments d’ordre personnel qu’elle mentionne dans des correspondances avec certains de ses auteurs, dont elle a pu être proche. Quelques jours après son décès, le 11 mars 1970, le directeur de la maison Paul Flamand confie son désarroi à l’une des autrices américaines qu’elle avait publiée en France, Susan Sontag : « En fait Monique Nathan depuis plusieurs années était atteinte d’un mal qui ne pardonne pas. Elle l’a ignoré jusqu’au bout. […] Voici maintenant que sa place est vide et vous vous doutez bien de quel vide il s’agit… » (lettre de Paul Flamand à Susan Sontag, 19 mars 1970, Archives des Éditions du Seuil).

La biographie professionnelle de Monique Nathan est possible à reconstituer dans ses principales lignes, même si sa formation et son entrée dans le métier éditorial demeurent plus difficiles à établir. Son décès ne semble pas avoir suscité d’échos particuliers dans la presse littéraire, à l’exception de brèves informatives dans Les Lettres françaises, Le Monde ou Le Figaro. Une certaine invisibilité masque ce parcours intellectuel, certes inachevé, mais sans aucun doute singulier. À quel moment et dans quelles circonstances quitte-t-elle le judaïsme pour se convertir au catholicisme ? Quelles difficultés la guerre occasionna-t-elle sur les premières années de l’âge adulte de cette femme qui eut 20 ans en 1944 ? Connut-elle des persécutions antisémites comme la famille de son cousin, François Wahl, né en 1925, qui deviendra quelques années après elle, éditeur au Seuil ? Le père de celui-ci, cadre d’une grande enseigne commerciale à Lyon, avait été déporté suite à une dénonciation. Après son baccalauréat, Monique Nathan obtient une licence de lettres, possiblement à la Sorbonne où elle rencontre un futur auteur du Seuil, Jean-Pierre Faye, qui passe alors l’agrégation de philosophie. Sans que le cadre de cet apprentissage nous soit connu, Nathan acquiert une fine connaissance de la langue anglaise. Ses premiers pas dans l’édition s’effectuent dans l’entourage du philosophe catholique, Gabriel Marcel, chez Plon. Pilier de cette maison conservatrice, ce dernier y dirige l’importante collection de traductions littéraires « Feux croisés », largement dotée en écrivains de langue anglaise. Pour Plon, elle traduit avec l’ethnologue Éric de Dampierre l’essai Droit naturel et Histoire du philosophe Leo Strauss. Elle donne des recensions à plusieurs périodiques comme France Illustration ou encore un article sur le théâtre de Gabriel Marcel dans La Revue du monde nouveau, un grand format sur papier de luxe qui revendique un internationalisme pacificateur aux lendemains de la guerre. Elle est sollicitée par diverses revues, à l’instar de Preuves et Esprit, cette dernière étant alors proche du Seuil. Une collaboration plus intense débute en 1950 avec Critique. Revue générale des publications françaises et étrangères, un périodique central du monde intellectuel parisien, repris peu de temps auparavant par les Éditions de Minuit et dirigé par son fondateur, Georges Bataille. Ses recensions concernent d’abord les littératures de langue anglaise. Elle apprécie le roman documentaire d’Alan Paton sur la question raciale en Afrique du Sud car il permet d’éveiller le « grand public » au cas de conscience du temps présent. De même, elle évoque la qualité de « document de sociologie politique » de la narration de Robert Penn Warren sur la vie sociale et morale du Sud états-unien. À l’occasion de la sortie, chez Robert Laffont, du roman Les Ambassadeurs, presque un demi-siècle après sa publication aux États-Unis, Henry James y est qualifié de « Balzac américain ». Plus original, Nathan juge que James est un précurseur pour sa contribution au renouvellement de « la technique objective » des romanciers américains contemporains. Inspiré par les conventions du théâtre, bien avant Dashiell Hammett ou l’influence du cinéma, il mobilise les éléments clés de cette littérature : « le retranchement volontaire de l’auteur [et] l’interprétation sacrifiée de la représentation » afin de « rendre le lecteur libre de croire seulement ce qu’il voit et non ce qu’on lui dit de voir ». Si l’on est ici au cœur de ses préoccupations littéraires, son attention est aussi attirée par un essai sur Louise de Vilmorin dont la « littérature précieuse » rappelle Jean Giraudoux, par le journal d’un jeune philosophe préfacé par Gabriel Marcel ou par Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, par ailleurs traductrice de Woolf.

La position éditoriale et intellectuelle de Nathan est remarquable, d’autant qu’elle a permis au Seuil de composer avec certaines orientations nouvelles, dont un questionnement sur les mécanismes de la domination masculine. Elle a été la première femme, et longtemps la seule, à être membre permanent du comité éditorial. Une rare photographie de groupe d’un Seuil triomphant de ses réussites à la fin des années 1960 la montre aux côtés de ses douze collègues hommes (Sur le Seuil, 1979, p. 24-25). Ses responsabilités dépassent les traductions. À compter de 1956, elle reprend la direction de la série de vulgarisation « Écrivains de toujours » où paraissent en moyenne 4 ou 5 titres par an, dont ses essais sur Virginia Woolf et William Faulkner. Son autorité intellectuelle et l’étendue de sa culture (littéraire, cinématographique ou musicale), des aptitudes certaines à la parole radiophonique, la sureté de ses jugements – le plus souvent tranchés et sans complaisance –, sa science de la reprise des manuscrits sont soulignées par celles et ceux qui travaillèrent à ses côtés. Ainsi, Élie Wiesel dont elle révise les manuscrits de plusieurs de ses romans alors qu’il exerçait comme journaliste à New York, pouvait lui confier en avril 1960 combien il appréciait la dureté de ses avis et leur franchise (lettre d’Elie Wiesel à Monique Nathan, 7 avril 1960, Archives des éditions du Seuil). À l’image de son œuvre, partagée entre Woolf et Faulkner, elle se consacre d’abord aux auteurs et autrices de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis, à parts égales. Elle entretient des contacts étroits avec le mari de Virginia Woolf, Leonard Woolf, ce qui lui ouvre les archives de l’écrivaine et lui permet de devenir une pionnière de l’analyse de son œuvre. Après les Anglais du groupe de Bloomsbury, elle se tourne vers les littératures des États-Unis, convaincue, comme elle l’affirme lors d’une émission radiophonique, que depuis le début des années 1940 l’Angleterre littéraire est devenue moins riche, moins diversifiée et plus traditionnelle. Un establishment, dont Thomas S. Eliot est le phare, se serait imposé, à l’exception, peut-être, de l’apparition récente des Angry Young Men qui conteste le « système » d’un pays sclérosé (émission « Domaine étranger », 1er janvier 1963 et 31 mars 1964). Dans la continuité de ses recherches sur William Faulkner, Monique Nathan veut faire connaître en France l’éclatante affirmation de la littérature du Sud des États-Unis. Sur cinq décennies, elle en retrace la longue et riche histoire en insistant sur le fait qu’elle est « la seule sans doute qui s’inscrit dans un refus à la fois historique et culturel du monde moderne et du progrès ». La « grande ombre » de Faulkner recouvre la sensibilité de ces romanciers « à ce monde de l’horreur et de la terreur, obsédé par le mal, qu’ils traduisent avec des moyens expressifs d’une force inhabituelle » (émission « Domaine étranger », 9 octobre 1963). L’enthousiasme aussi l’émergence récente d’auteurs juifs sur la scène de New York, milieu littéraire sur lequel elle écrit plusieurs textes et qui aurait pu faire, peut-être, l’objet d’une autre phase de ses recherches. Elle salue ainsi les romanciers (Saul Bellow, Bernard Malamud, Philip Roth, Norman Mailer ou J.D. Salinger), les poètes (Allen Ginsberg, Howard Nemerov, Delmore Schwartz…), les critiques (Alfred Kazin, Irving Howe, Lionel Trilling…), mais aussi des dramaturges, des humoristes et des dessinateurs, qui, sans faire école, instaurent « une direction de la littérature d’aujourd’hui [et] manifestent une énergie qui vaut la peine d’être remarquée ». Avec eux, aux États-Unis, le temps d’une littérature de ghetto prend fin : « Assez sûrs économiquement et culturellement pour déboucher dans le grand public, les écrivains juifs veulent à la fois s’évader d’une culture trop étroitement circonscrite, et exploiter ce qui fait leur originalité propre. » (Émission « Domaine étranger », 25 mai et 25 septembre 1963.) L’examen de cette effervescence est aussi l’occasion d’une réflexion sur les valeurs, possiblement conflictuelles, « entre judéité et américanité », sur l’assimilation « au sein de la multiple Amérique », comme elle s’interroge dans une livraison de Preuves de décembre 1964. Ces perspectives historiques, la volonté d’encadrer la littérature dans un mouvement social, autant que l’ambition de transmettre les auteurs et autrices nouvelles à des publics aussi vastes que possible sont au cœur du travail de Monique Nathan. Dans la continuité de sa passion critique pour Faulkner, elle importera en France, après les éditions du Pavois, deux romans de Katherine Anne Porter – La Tour penchée (1954) et un best-seller international, La Nef des fous (1963), traduits par Marcelle Sibon –, des ouvrages de Nathanael West, Alfred Chester, John Updike, Bruce Jay Friedman et Susan Sontag. Cette dernière rejoint le Seuil en 1965 pour son premier roman (Le Bienfaiteur, traduit par Guy et Gérard Durand). Elle deviendra vite une autrice majeure de la maison même si elle publie aussi ailleurs. Pour le Seuil, ce recrutement récompense les efforts accomplis afin d’accroitre sa présence sur le marché éditorial des États-Unis alors même que dans le cas des écrivains de ce pays qui émergent dans les décennies 1950 et 1960, la concurrence est vive, à commencer avec Gallimard.

Le Seuil, animé par des dirigeants autodidactes de la culture, parfois méfiants vis-à-vis de l’académisme de l’Université, trouve en Nathan une éditrice capable de dialoguer avec des universitaires et de saisir, par exemple, les enjeux des débats autour des théories littéraires. Elle apportait « la règle et la référence », pourra dire Flamand. Une exigence d’écriture, et parfois une sensibilité morale, qui, d’une part, lui aurait fait refuser la légèreté littéraire du sentimentalisme de Love Story d’Erich Segal, et d’autre part, la conduit à laisser partir John Updike que le Seuil avait lancé en France lorsqu’elle refuse son roman Couples (paru chez Gallimard, en 1969, traduit par Anne-Marie Soulac) : « Lu jusqu’à la page 212, Sex, Sex, Sex ! C’est tout », juge Monique Nathan à l’occasion de sa fiche sur ce livre, avant de confier son écœurement face au manque d’inspiration de l’auteur. Ses échanges avec le critique littéraire et professeur Jean-Pierre Richard sont représentatifs de ses orientations théoriques. L’auteur de nombreux essais parus au Seuil, dont L’Univers imaginaire de Mallarmé (1961) qui fit date, défend une critique thématique où Bachelard trouve sa place et n’exclut pas de dialoguer avec le structuralisme. Ce lien privilégié avec Jean-Pierre Richard illustre également la volonté de Monique Nathan de voir le Seuil, avec la série « Écrivains de toujours » et les essais théorico-artistique de la collection « Pierres vives » qu’elle animera également, devenir plus perméable à certaines positions universitaires : les orientations de la critique proposées par Jean-Pierre Richard sont compatibles avec le classicisme littéraire des analyses de Monique Nathan. À une certaine distance des options théorico-politiques du groupe Tel Quel que le Seuil publie depuis 1960, Nathan appartient au camp des opposants de la révolte de mai-juin 1968, comme deux autres éminents collaborateurs du Seuil, l’écrivain catholique Luc Estang ou le journaliste Jean Lacouture.

Bien qu’ils ne pratiquent aucune autre langue que le français, Jean Bardet et Paul Flamand furent toutefois parmi les premiers éditeurs français à investir la Foire de Francfort après 1945, et Monique Nathan fut de toutes les sessions. Lors des séjours professionnels de Flamand aux États-Unis, souvent de plusieurs semaines, elle est à la manœuvre pour l’organisation et, parfois, sur place, pour guider son patron. Aux débuts des années 1960, elle séjourne longuement dans diverses universités aux États-Unis pour ses recherches sur Faulkner notamment et des activités de diffusion culturelle liées aux cercles diplomatiques français. Elle sollicite une bourse auprès du département d’État, est invitée à Yale ou encore à Cornell par Paul De Man. Malgré les absences que ses déplacements impliquent, les patrons du Seuil défendent leur utilité afin de découvrir et recruter des auteurs états-uniens et plus largement, étrangers : « Quand [Monique Nathan] passe deux mois et demi là-bas (dont un mois de vacances), ce n’est pas du temps perdu pour nous, nonobstant même les visites d’agents et d’éditeurs », affirme Flamand à l’occasion d’une note interne (archives du Seuil [1962]). D’ailleurs, ajoute-t-il, Gallimard, le prestigieux concurrent, laisse à son éditeur Michel Mohrt, passeur décisif de la littérature nord-américaine, une liberté et des moyens similaires pour ses séjours aux États-Unis. À l’occasion d’une note destinée à sa réflexion, Flamand, vers 1965, défend l’idée que les littératures anglo-saxonnes sont à « privilégier » non pour une supériorité de talents ou une production plus importante mais « parce qu’ils ont [plus] d’argent, [plus] de projets, qu’ils désignent la voie où l’édition s’engage inéluctablement ». Dorénavant, le travail à mener exige « d’être constamment sur la brèche, de nouer de multiples contacts, de connaître ce qui se prépare par amitiés, rencontres personnelles, etc. ».

L’activité quotidienne d’une maison d’édition, loin des succès et des « grands » auteurs et autrices que les ventes et l’histoire consacrent, ou encore des récits embellisque les animateurs énoncent en rupture avec la routine de leur métier, est souvent difficile à reconstruire. Le « Département anglo-saxon » pour les fictions dont Monique Nathan a la charge, avec l’assistance d’une secrétaire, reçoit en 1966, 520 romans. Une année d’activité sensiblement élevée puisque à l’occasion de l’exercice suivant, le total se monte à 305. Durant ces deux années pour lesquelles nous disposons de chiffres précis, le nombre de mise en lecture, auprès de lecteurs et lectrices extérieurs, s’élève respectivement à 325 et 176 et pour sa part, Monique Nathan examine elle-même 195 et 129 des ouvrages reçus. Finalement, huit contrats sont signés en 1966, dont cinq pour la littérature des États-Unis : Clement Biddle Wood, Welcome to the club (1966, non publié), Joseph Mac Elroy, A Smuggler’s Bible (1966, non publié), Bernard Malamud, The Fixer (1966) paru au Seuil sous le titre L’Homme de Kiev (1967, traduction de Simone et Georges de Lalène) et Gil Orlovitz, Milkbottle (1967, non publié). Simultanément aux nouvelles du critique franco-américain George Steiner (Anno Domini, traduites par Louis Lanoix) parait le roman co-écrit par William Lederer et Eugene Burdick, Les Fourmis rouges (traduit par Claude Durand). L’année suivante est plus fructueuse : outre L’homme de Kiev déjà évoqué, est publié Bruce Jay Friedman avec Mom (traduit par Solange Lecomte). Des contrats pour Death Kit de Susan Sontag (1967, publié en 1970) et la suite de courts récits, The Music Scholl de John Updike (1966, paru en 1971). Pour ces romans retenus, la part de ceux qui proviennent des États-Unis est équivalente à celle d’autres pays de langue anglaise. Au premier ensemble, il faut ajouter l’autobiographie d’Helena Rubinstein, My Life for beauty (1964), traduite par Solange Lecomte, et publiée au Seuil sous le titre Ma vie et mes secrets de beauté (1967). Au total, pour 1966-1967, l’éditrice est directement impliquée dans la parution de quatorze livres, dont cinq romans de langue anglaise. En termes de ventes, pour les différentes époques de son travail, Katherine Ann Porter est l’autrice qui connait, jusqu’aux années 1990, le plus grand succès commercial en grand format avec plus de 22 000 exemplaires de La Nef des fous. Au-dessus de 10 000 exemplaires, on remarque aussi Malamud avec L’Homme de Kiev et Les Fourmis rouges de Lederer et Burdick.Le périmètre de l’action de Monique Nathan recouvre également la validation des achats de droit pour des traductions de l’allemand et de langues scandinaves. Parmi les « coups » du Seuil qui nécessitent ses compétences, on citera les négociations liées au premier livre de Svetlana Alliluyeva, la fille de Staline qui vient de demander l’asile politique aux États-Unis après avoir quitté clandestinement l’URSS. Outre la révision de la traduction, effectuée par Nadine et Jean-Jacques Marie depuis le russe, Monique Nathan excelle pour superviser un dispositif éditorial international complexe (Vingt lettres à un ami, Seuil/Paris Match, 1968). Plus classiquement, elle gère également les publications de recueils des œuvres de Virginia Woolf (avec une préface de l’universitaire et critique Sylvère Lotringer) et Dylan Thomas (avec Denis Roche). Au Seuil, le dispositif pour prospecter le continent éditorial états-uniens qui devient essentiel sur le marché international, est donc porté par Monique Nathan qui, il faut l’évoquer, est l’interlocutrice principale de l’agence dirigée par Michelle Lapautre, intermédiaire souvent présente entre les éditeurs américains et le Seuil et, d’autre part, de l’agence dirigée par Georges Borchardt, représentant exclusif du Seuil aux États-Unis pour la vente de ses auteurs, dont, par ailleurs l’agence Lapautre est la représentante en France.

Au fil des archives et des correspondances ce sont bien les contours d’un réseau à la fois éditorial, universitaire et diplomatique de relations transatlantiques qui se distinguent autour de Monique Nathan : Élie Wiesel, George Steiner, Yves Bonnefoy, Paul de Man ou encore Sylvère Lotringer y participent où en bénéficient. Même si elle n’était pas germanophone, elle participera, sans succès, aux nombreux efforts du Seuil pour éditer le poète Paul Celan. Avec réussite cette fois, son travail permet d’éditer la poésie de Rainer Maria Rilke (avec Paul de Man) ou les premiers livres de Günter Grass. Dans les années 1960, à l’instar du succès rencontré par ce dernier, les écrivains traduits de l’allemand procurent au Seuil un prestige essentiel à sa reconnaissance comme éditeur « littéraire ». Si les auteurs états-uniens sont alors déjà présents à son catalogue, à l’image de John Updike qui obtient le Prix du livre étranger en 1965 (Le Centaure, traduit par Laure Causseau), ceux-ci ne prennent une place décisive au Seuil qu’à partir des années 1970, à un moment où l’éditeur s’installe définitivement comme une « grande » maison parisienne. La croissance de la part nord-américaine de son catalogue romanesque menée après la mort de Monique Nathan, notamment par Denis Roche, illustre cette institutionnalisation qui profite d’abord aux auteurs de langue anglaise américaine, au détriment des autres espaces linguistiques. Aux côtés, et parfois en concurrence avec l’éditrice Anne Freyer, recrutée en 1972 après avoir répondu à une petite annonce passée dans Le Monde par le Seuil, le catalogue s’enrichit de Kurt Vonnegut, puis, durant la décennie suivante, des œuvres de Robert Coover, Thomas Pynchon ou du Britannique William Boyd. Monique Nathan avait posé les bases de cet essor.

Dès les premiers pas de leur entreprise, l’internationalisation du catalogue avait été un impératif pour les patrons du Seuil. À ce niveau de responsabilités éditoriales, au cœur d’une entreprise naissante dont elle fut une actrice de l’expansion, Monique Nathan a occupé une position de pionnière qui anticipe les dimensions internationales de l’édition généraliste devenue systématique dans les années 1980 et aussi la féminisation de l’encadrement des entreprises de l’édition durant les années 1980-1990.

Notice et bibliographie établies par Hervé SerrySociologue, Directeur de recherche au CNRS, CRESSPA UMR 7217
Pour citer cette notice : Notice Monique NATHAN (1924-1970) par Hervé Serry, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 11 décembre 2023 - dernière modification le 2 octobre 2024, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/monique-nathan-1924-1970/ 

Bibliographie

Archives des Éditions du Seuil

Sur le Seuil. 1935-1979. Paris : Éditions du Seuil, 1979.

BLOT, Jean. Bloomsbury : histoire d’une sensibilité politique et littéraire anglaise. Paris : Balland, 1992.

CERISIER, Alban, FOUCHÉ, Pascal (dir.) Gallimard, un siècle d’édition, Paris : Gallimard, 2011.

SERRY, Hervé. Aux Origines des éditions du Seuil, Paris : Seuil, 2015.

SERRY, Hervé. Les Éditions du Seuil : 70 ans d’édition, Paris : Seuil, Imec, 2008.

SERRY, Hervé. « Constituer un catalogue littéraire. La place des traductions dans l’histoire des éditions du Seuil ». Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144, septembre 2002, p. 70-79.

SERRY, Hervé. « Cadres de l’édition, des inégalités hommes-femmes toujours fortes ». Livres-hebdo, Le Magazine, n°18, mars 2022, p. 66-69.

TAUTOU, Alexis. « Les sœurs (dis)semblables : les Élégies de Duino d’Armel Guerne et Lorand Gaspar ». Études Germaniques, 2021/2, n° 302, p. 163-173.

WEISSMANN, Dirk. Poésie, Judaïsme, Philosophie. Une histoire de la réception de Paul Celan en France des débuts jusqu’à 1991, thèse en études germaniques, sous la direction de de Gérald Steg, Université Sorbonne Nouvelle, Paris III, 2003.

WIESEL, Élie. Tous les fleuves mènent à la mer. Mémoires. Paris : Seuil, 1994.

Nécrologies de Monique Nathan

Bulletin du livre, 176, avril 1970, p. 29-30 ; Les Lettres françaises, n° 1336, 18-24 mars 1970, p. 2 ; Le Monde, 13 mars 1970, p. 2 ; Le Figaro, 13 mars 1970, p. 26.

Bibliographie de Monique Nathan

Traductions

STRAUSS, Leo. Droit naturel et histoire [Natural Right and History, 1953]. Trad. Eric de Dampierre et Monique Nathan. Paris : Plon, 1954.

Ouvrages

NATHAN, Monique. William Faulkner par lui-même… (« Écrivains de toujours », n° 65), Paris : Seuil, 1963.

Préfaces et avant-propos

WEST, Nathanael. Romans. Trad. Marcelle Sibon, préf. Monique Nathan. Paris : Éditions du Seuil, 1961.

Articles (liste non-exhaustive) :

NATHAN, Monique. « Robert Penn Warren, Les Fous du Roi ». Critique. Revue générale des publications françaises et étrangères, tome 7, n°48, mai 1951, p. 467-470.

NATHAN, Monique. « Les Ambassadeurs et Les Carnets de Henry James». Critique. Revue générale des publications françaises et étrangères, tome 7, n°49, juin 1951, p. 492-498.

NATHAN Monique. « La Cabale de Thornton Wilder et H. de Sarbois ». Esprit, n° 233, décembre 1955, p. 1953-1954.

NATHAN Monique. « Un Sartoris chez les Snopes [sur Hamlet de William Faulkner] ». Critique. Revue générale des publications françaises et étrangères, n° 154, mars 1960, p. 222-227.

NATHAN Monique. « J. D. Salinger et le rêve américain ». Critique. Revue générale des publications françaises et étrangères, tome 18, n°,179, avril 1962, o. 299-305.

NATHAN Monique. « Faulkner ». Candide, 11-18 juillet 1962, no. 63, p. 11.

NATHAN Monique. « Jeunesse de Faulkner ». Preuves, n° 161, juillet 1964, p. 85-88.

NATHAN Monique. « Les écrivains juifs d’Amérique ». Preuves, n° 165, novembre 1964, p. 74-80

NATHAN Monique. « Vogue du roman juif aux U.S.A. Après le naturalisme, le populisme et le “sudisme” une nouvelle dominante littéraire ». L’Arche. Revue du F.S.J.U., n° 103-104, septembre-octobre 1965, p. 34-39.

NATHAN Monique. « Saul Bellow ». Esprit, n° 352, septembre 1966, p. 363-370.

Radiodiffusion, archives « Arts du spectacles », BNF Richelieu et INA (liste non-exhaustive) : 

NATHAN, Monique (et al.) William Faulkner, émission Domaine étranger. Radiodiffusion française, France III National (3 octobre 1962). Réalisation, Alain Barroux et Georges Gravier.

NATHAN, Monique (et al.) Amérique : écrivains Juifs de New-York, tapuscrit de l’émission Domaine étranger produite par Jacqueline Harpet. Radiodiffusion française, France III National (25 septembre 1963). Réalisation, Georges Gravier.

NATHAN, Monique (et al.). Amérique : Le Roman du Sud, tapuscrit de l’émission Domaine étranger produite par Jacqueline Harpet. Radiodiffusion française, France III, National (9 octobre 1963). Réalisation, Georges Gravier.

NATHAN, Monique (et al.). La Beat Génération, émission Tribune des critiques, Office national de radiodiffusion télévision française (14 mars 1965) [France Culture]. Réalisation, Pierre Barbier.

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