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« Sommets du roman américain », Éditions Rencontre

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La collection « Sommets du roman américain », dirigée par Jacques Cabau, s’inscrit dans la formule du club de livre lancé par les Éditions Rencontre à Lausanne (Suisse romande) en 1950, dans le sillage de la revue culturelle de gauche du même nom, créée par six jeunes intellectuels militants influencés par la conception sartrienne de l’engagement (Henri Debluë, Yves Velan, Jean-Pierre Schlunegger, Michel Dentan, Georges Wagen et Jean Messner). Après scission en 1952 entre la revue et les éditions, Rencontre, sous la houlette de son directeur Pierre Balthasar de Muralt, docteur en droit et détenteur d’une qualification de typographe, devenu acquéreur de l’imprimerie Jaunin à Lausanne, s’oriente vers la formule du club du livre. À l’instar du Book of the Month Club créé outre-Atlantique en 1926, Rencontre, dont l’ambition était de « [r]épandre la beauté par l’édition, la confection, la diffusion et la vente en commun de livres au prix de revient », popularise ainsi le phénomène des clubs du livre, et s’impose pendant une vingtaine d’années comme l’un des plus importants du monde francophone.

Après la collection « La Grèce présente », dont l’Antigone de l’helléniste lausannois André Bonnard inaugure le catalogue, paraissent les quarante volumes de l’œuvre complète de C. F. Ramuz, puis une série de Grands Romans dirigés par Louis Guilloux, ainsi qu’une Histoire universelle en trois volumes pour laquelle Pierre B. de Muralt lance une souscription. C’est en 1955 qu’il en vient à généraliser la formule du club de livre, basée sur un abonnement mensuel, offrant des titres proposés sur catalogue, au prix très bas de 5,70 francs, pour des ouvrages reliés en skivertex, un cuir synthétique. Rencontre prend alors son envol, passant de 1 000 abonnés en 1956 à 8 000 deux ans plus tard, et de 30 000 début 1960 à 100 000 en 1962. Entre séries d’œuvres complètes d’auteurs classiques (Balzac, Hugo, Dostoïevski, Zola, Stendhal, Tolstoï, Maupassant…), rééditions, traductions et créations inédites, collection « Atlas des voyages » (Java vue par Clara Malraux, Moscou par Paul Thorez, la Tunisie par Jean Duvignaud…) et ouvrages d’initiation artistique, Rencontre poursuit une politique d’engagement au service d’un idéal culturel élevé mis à la portée de tous. Limitant les coûts grâce au système de la souscription mensuelle, tout en permettant à ses abonnés d’acquérir une bibliothèque à bas prix, l’éditeur connaît un succès exponentiel et voit ses ventes s’envoler avec un chiffre d’affaires qui double chaque année entre 1958 et 1962, passant de 550 000 francs à plus de 6,7 millions. En 1970, avec près de 6 000 000 d’exemplaires vendus, Rencontre est devenu un véritable empire industriel, qui emploie quelque 1 200 personnes (dont 700 à Lausanne), avec deux imprimeries (l’une à Lausanne, l’autre à Mulhouse), une usine de reliure (à Lausanne), plusieurs succursales à l’étranger (Paris, Londres, Bruxelles, Québec), un département éditorial en langue allemande, et une extension de ses activités au domaine audiovisuel (sa première production sera le documentaire franco-germano-suisse de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la pitié [1969]). Cette aventure fulgurante de l’après-guerre connaîtra toutefois un déclin tout aussi spectaculaire à partir de la fin des années 1960, suite à la paralysie des postes françaises en mai 68 et à la dévaluation du franc français l’année suivante, et en raison d’une stratégie expansionniste coûteuse et d’une série d’erreurs du conseil d’administration, dont le rachat en 1967 du mensuel Constellation, qui aboutiront à la reprise de la maison par la holding canadienne Musexport en 1970, à la démission de Muralt et au démantèlement de l’entreprise. La grande aventure des Éditions Rencontre prend ainsi fin dans le contexte des transformations d’une édition contemporaine de plus en plus soumise à cette logique financière et idéologique des conglomérats de la communication que dénonce l’éditeur franco-américain André Schiffrin dans son pamphlet L’édition sans éditeurs (La Fabrique, 1999).

La collection « Sommets du roman américain » s’inscrit dans le développement des séries non seulement française, telle les vingt-quatre volumes de La Comédie humaine préfacés par le balzacien Roland Chollet, mais aussi latine, russe, italienne ou espagnole, qui marque le grand bond en avant des Éditions Rencontre au tournant des années 1960. À l’instar des « Sommets du roman anglais » et des « Sommets de la littérature espagnole » lancés dès 1959, la collection « Sommets du roman américain », composée de douze volumes parus entre 1964 et 1965 sous l’égide de Jacques Cabau, rassemble les ouvrages parmi les plus canoniques de l’histoire littéraire des États-Unis, dont elle dessine tout autant la genèse que l’évolution. Le premier volume, consacré au texte fondateur de James Fenimore Cooper, La Prairie, est à ce titre précédé d’une préface générale, où Cabau pose les jalons de l’histoire du roman que l’on dit alors américain, de sa naissance difficile dans le contexte de l’Amérique puritaine jusqu’à l’apothéose de ce que Claude-Edmonde Magny a baptisé « l’âge du roman américain ». Après La Prairie, la séquence de ces « sommets » enchaîne ainsi La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, Moby Dick de Herman Melville, Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain, Les Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, Le Tour d’écrou et Les Papiers de Jeffrey Aspern de Henry James, Les Rapaces de Frank Norris, La Jungle d’Upton Sinclair, Tendre est la nuit de F. Scott Fitzgerald, Lumière d’août de William Faulkner, Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway, et Le Faucon de Malte de Dashiell Hammett.

Tout comme les textes introductifs aux « Sommets de la littérature espagnole » que rassemblera l’écrivain suisse Georges Haldas dans son ouvrage L’Espagne par les écrivains que j’aime (L’Âge d’Homme, 2006), les préfaces que rédige Jacques Cabau pour chacun de ces « sommets » serviront de matrice à son anatomie du roman américain, La Prairie perdue (Seuil, 1966), étude pionnière en son temps, qui a fait date dans les études américaines et a marqué des générations d’étudiants par son brio.

Notice et bibliographie établies par Sylvie MathéProfesseure de littérature des Etats-Unis, Aix-Marseille Université, LERMA UR 853
Pour citer cette notice : Notice « Sommets du roman américain », Éditions Rencontre par Sylvie Mathé, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 11 mai 2023 - dernière modification le 19 décembre 2023, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/sommets-du-roman-americain-editions-rencontre/ 

Bibliographie

Bibliographie primaire 

Aux Éditions Rencontre, Collection « Sommets du roman américain », Lausanne

COOPER, James Fenimore. La Prairie [The Prairie, 1827]. Préface générale « Le Roman américain » et préface à La Prairie. Trad. Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, 1964.

FAULKNER, William. Lumière d’août [Light in August, 1932]. Trad. Maurice-Edgar Coindreau, 1965.

FITZGERALD, F. Scott. Tendre est la nuit [Tender Is the Night, 1934]. Trad. Marguerite Chevalley, 1965.

HAMMETT, Dashiell. Le Faucon de Malte [The Maltese Falcon, 1930]. Trad. Henri Robillot, 1965.

HAWTHORNE, Nathaniel. La Lettre écarlate [The Scarlet Letter, 1850]. Trad. Marie Canavaggia, 1964.

HEMINGWAY, Ernest. Pour qui sonne le glas [For Whom the Bell Tolls, 1940]. Trad. Denise Van Moppès, 1965.

JAMES, Henry. Le Tour d’écrou [The Turn of the Screw, 1898]. Suivi de Les Papiers de Jeffrey Aspern [The Aspern Papers, 1888]. Trad. Maurice Le Corbeiller, 1964.

MELVILLE, Herman. Moby Dick  [Moby Dick, 1851]. Trad. Jean Giono, Lucien Jacques et Joan Smith, 1964.

NORRIS, Frank. Les Rapaces [McTeague, A Story of San Francisco, 1899]. Trad.  Françoise Fontaine, 1965.

POE, Edgar Allen. Histoires extraordinaires [Extraordinary Tales, 1856]. Trad. Charles Baudelaire, Marie Bonaparte et Matila C. Ghyka, 1968.

SINCLAIR, Upton. La Jungle [The Jungle, 1906]. Trad. Armand Fournier, 1965.

TWAIN, Mark. Les Aventures de Huckleberry Finn [Adventures of Huckleberry Finn, 1884]. Trad. Suzanne Nétillard, 1965.

Sources secondaires

VALLOTON, François. Les Éditions Rencontre 1950-1971. Lausanne : Éditions d’en bas, 2004.

MARTIN, Isabelle. « Les Éditions Rencontre, de l’ascension à la chute ». Le Temps, 24 décembre 2004.

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