Sven Nielsen nait au Danemark à Ølgod, en 1901. Dans ce village du Jutland, son père Hans, notable local, est depuis 1896 éditeur et libraire. Originaire de Valde, formé comme relieur à Odense, il imprime des cartes postales et revend les ouvrages de la librairie Lohses (Varde). « Pour mon père, dira plus tard Sven Nielsen, la réussite c’était un petit ventre avec une chaine dorée dessus, le journal quotidien, la partie de cartes. » Pour s’en détacher, le fils insiste sur l’ancrage local du père, qui se plaisait à recevoir son « petit coup de chapeau » dans les rues du village (« Un viking… » 76-79). Des photos, sans date, montrent le magasin familial et le parc créé par Hans Nielsen et qu’il dédie aux grands noms de la littérature nationale.
(Hans et Sven Nielsen à l’entrée du parc dédié aux grands auteurs danois, Ølgod, années 1910. Source : http://www.boghandlereidanmark.dk/index.php?id=999)
Le Danemark est alors un pays dominé par l’activité agricole, qui représente un tiers du revenu national brut, et 90% des exportations, essentiellement dirigées vers l’Allemagne et la Grande-Bretagne (Gram-Skjoldager 234-50). Elles sont fragilisées pendant la Première Guerre mondiale, la bataille du Jutland se révélant en 1916 un moment clé de la guerre que se livrent la Royal Navy et la Kaiserliche Marine en mer du Nord. Préservant une difficile neutralité, le pays perd quelques centaines d’hommes durant le conflit. Ce sang versé avec parcimonie se révèle dans l’entre-deux-guerres l’atout qui assure un accueil favorable aux Danois en France : eux aussi ont eu à souffrir de « la griffe féroce de Bismarck » (Comœdia).
Partant définitivement pour la France en mars 1924, Sven Nielsen vient grossir les flux migratoires des pays scandinaves. Dans neuf cas sur dix, ces migrations sont dirigées vers les États-Unis (Hatton 557-64) et sont majoritairement sans retour (Baines 525-44). Dans les registres d’Ellis Island, on trouve en 1912 un Martinus Nielsen, né comme Sven à Ølgod. Devenu un grand éditeur, Sven Nielsen ne livre que tardivement des informations sur son enfance et sur son départ d’Ølgod et du Danemark. L’homme n’envisage d’ailleurs pas de publier ses souvenirs, comme c’est l’usage pour beaucoup d’éditeurs majeurs.
Avec habileté, celui qui s’est imposé comme un des passeurs majeurs de littérature étrangère dans l’édition française grand public ne cesse de multiplier les gages rétrospectifs de son amour pour la culture et les Lettres françaises, lorsqu’il cède à une médiatisation tardive et mesurée. Il a plongé dans la littérature grâce aux cabinets de lecture d’Aalborg, de Ringkøbing et de Copenhague, où il a achevé son apprentissage dans d’importantes librairies. À la Belle Époque, la modernisation de la capitale danoise, avec ses grands magasins et ses nouveaux lieux de culture, sa mue en « ville spectacle », se fait avec Paris comme modèle (Briens 7-21). En 1971, Nielsen raconte le contexte de son obsession initiale pour la France :
Pour les Danois […] dans mon temps à moi, la France était le premier pays du monde. La France représentait tout : la beauté, la gloire. Toutes les merveilles, c’était la France. Donc j’ai été élevé si vous voulez dans cet amour pour la France et j’ai toujours rêvé depuis que j’étais tout petit… ma chambre était tapissée des images de Napoléon, de Louis XIV. Bref, tous les grands éléments français étaient autour de moi. Et j’ai toujours eu envie et j’ai toujours été absolument persuadé que dès que je le pourrai, j’allai venir en France, j’allai vivre en France, j’allai me fixer en France (« Leur idée sur la France »).
Nielsen a grandi dans un pays où les traductions sont plus nombreuses que les productions littéraires locales. Entre 1750 et 1850, la littérature étrangère y représente plus de 80% des romans, contre un peu plus de 20% pour la France à la même période (Moretti 152). Dans les cabinets de lecture et les librairies du Danemark de la fin du XIXe siècle, ce sont les réimpressions des succès nationaux pour un marché international, celles de Tauchnitz à Leipzig ou de Galignani à Paris qui sont majoritairement proposées. Le Danemark apparait pour l’espace éditorial européen comme un relai précoce de diffusion des nouveautés britanniques et françaises, se distinguant nettement sur ce point du reste du continent. Moins que les traductions allemandes cependant, les éditions françaises d’autres littératures européennes, comme celles des grands auteurs russes, circulent dans le pays et participent à faire pénétrer un canon continental dans le pays (Nielsen 357-72).
Sans surestimer le poids de ce contexte initial, il est intéressant de constater que Nielsen, fils de libraire, appréhende le fait littéraire dans un contexte où la traduction est la norme, où le livre est une marchandise échangée entre pays. Différente de celle des éditeurs de son temps que l’histoire littéraire a retenus – ceux, essentiellement, du pôle de diffusion restreinte – la marque de Nielsen dans le champ éditorial des Trente glorieuses est celle de sa modernisation, de sa concentration à sa financiarisation, et de son inscription dans un paysage mondial – à la fois du point de vue industriel et dans les choix délibérés de traduction. L’ Amérique qu’il n’a pas choisie comme d’autres candidats au départ d’Ølgod s’impose comme une évidence via l’américanisation des imaginaires (Tournès) après la Seconde Guerre mondiale. Nielsen saura s’adapter à cette mutation culturelle majeure, accompagnant d’autres transformations du champ, projeté, toujours, vers ce qu’il envisage comme « l’avenir ».
À Paris, Nielsen débute comme commissionnaire chez Rasmussen, libraire danois du quai Saint-Michel, spécialisé dans l’exportation de livres. Diana Cooper-Richet a montré combien les librairies étrangères à Paris étaient depuis le XIXe siècle des lieux propices aux innovations et aux transferts dans le domaine du commerce du livre (1999). Rasmussen apparait en 1906 dans L’Annuaire de la librairie française, d’abord rue du Cherche-Midi. À l’époque, la librairie étrangère parisienne est transformée par l’installation de grands éditeurs britanniques qui, comme Stead (1907) ou Nelson (1911), viennent écouler leur production sur le continent, et par des entreprises comme celle de Paul Ollendorf (1905-1911) qui diffusent la littérature espagnole. Rasmussen rachète en 1924 le fonds d’éditions en langues française et espagnole de Louis-Michaud et s’installe dans son magasin du Boulevard Saint-Germain. Jusqu’au milieu des années 1930, il édite une centaine d’ouvrages. On lui doit l’édition de Septentrion. Roman suédois d’André Malvil et des traductions de l’explorateur Knud Rasmussen. Il publie également des catalogues, pensés pour l’export, qui répertorient les publications en français de l’année.
(Librairie franco-hispano-américaine Valdemar Rasmussen, angle du boulevard Saint-Germain et du passage de la Petite-Boucherie, Paris, 6e : [photographie de presse] / [Agence Rol], 1925. Source: Gallica.
Nielsen quitte Rasmussen pour travailler à l’Agence générale de librairie, rachetée en 1923 par Hachette, qui en fait la base de son Département étranger. Celui-ci est bien implanté en Europe et étend ses ramifications jusqu’en Amérique latine (Mollier, Hachette 60). Le jeune Danois y rencontre Charlotte Clédière, avec qui il se marie. En 1926, le couple fonde une société d’exportation de livres, Les Messageries du Livre, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. N’occupant qu’une petite pièce, les jeunes entrepreneurs tendent un rideau rouge, « pour créer un certain mystère, évoquer une réserve, des archives, etc. Quand un client éventuel arrivait chez nous, ma femme donnait des coups de marteau derrière le rideau, elle clouait des caisses imaginaires, en instance d’expédition » (Artiaga et Letourneux 21). Nielsen convoie la marchandise avec une charrette à bras, bientôt un triporteur. Cette dimension pratique du métier est une composante majeure de la légende postérieure du Danois. Pour ses employés, il reste l’homme en blouse de travail encore capable, le succès venu, de façonner un paquet pour l’export.
Que retenir des premiers pas professionnels en France de Sven Nielsen, qui passe en moins de trois ans d’employé dans une librairie tournée vers l’export à un département du géant de l’édition, Hachette, avant de se lancer à son compte ? Il trouve un milieu éditorial où la question de la distribution est en mutation, dans un contexte d’intensification des échanges culturels internationaux, qui profitent à des acteurs étrangers, comme avant lui Rasmussen. Des collections nouvelles apparaissent, comme la « Bibliothèque cosmopolite » chez Stock ou la collection « Du monde entier », chez Gallimard. Mais
les échanges se heurtent à cette époque à la lenteur des transports, notamment pour les échanges transatlantiques (les ouvrages mettent parfois plusieurs semaines à arriver des États-Unis en France), à l’absence de moyens de reprographie, à la faible professionnalisation des traducteurs, qui, payés au forfait, exercent souvent d’autres activités, repoussant le travail de traduction qui prend de ce fait plusieurs années à paraitre (les délais atteignant parfois dix ans) (Sapiro 202-203).
Ses premiers livres édités, Nielsen les pense pour le marché français et pour l’export. En 1939, Mes Souvenirs de chasseur de chez Maxim’s signé José Roman porte ainsi en première page une double adresse : la librairie Lefebvre pour la France, les Messageries du livre pour l’étranger. Nielsen n’entend pas alors innover avec un projet éditorial marqué par des nouveautés esthétiques ou formelles. Au contraire, il reprend pour identifier sa jeune société le nom de la nouvelle filiale de distribution d’Hachette – Messageries du livre. Plus tard, le nom des Presses de la Cité lui est inspiré par le souvenir du grand groupe britannique City Press.
La période clé dans l’ascension de Nielsen est celle de la Seconde Guerre mondiale et de l’immédiat après-guerre. Elle est à ce jour la moins bien documentée, en dépit des travaux menés sur l’édition durant l’Occupation (Fouché). Les Messageries du livre sont menacées de disparition en raison de la fermeture des marchés étrangers. Nielsen se reconvertit dans l’édition « semi-luxe » et rachète en 1942 les éditions Albert. Cette maison, créée dix ans plus tôt, publie des essais sur l’art et les voyages, des témoignages de figures politiques de l’entre-deux-guerres, des poètes, des romans, mais avait ralenti son activité à partir de 1938. Nielsen est admis au Cercle de la Librairie – le syndicat professionnel qui réunit depuis 1847 les notables de la filière du livre (imprimeurs, libraires et éditeurs) – en 1942, en même temps que Payot, sous le parrainage du sulfureux Bernard Grasset (« Un grand témoin… »), qui sera condamné à la Libération pour collaboration. Jean-Yves Mollier suggère que Nielsen profite de ses liens avec la Scandinavie pour se procurer du papier, alors rationné. Ses accords probables avec les autorités allemandes « n’ont pas laissé de traces dans les archives » (Mollier, Édition, presse et pouvoir 112).
Dès 1944, Nielsen s’intéresse aux genres populaires, et d’abord au policier. Dans un premier temps, pour lancer les Presses de la Cité, il s’appuie sur la tradition du roman policier scandinave. Le premier âge d’or du genre date du début du siècle, mais ni le Norvégien Sven Elvestad (Stein Riverton), ni le Danois Palle Rosenkrantz (1867-1941), ni aucun des pionniers, d’ailleurs, n’ont été traduits en français. Nielsen sans doute tâtonne, et publie le Suédois E.Y Högberg, le Norvégien Thorvald Aadhal (dont le nom est simplifié en couverture en Aadal), ou encore le Norvégien Arthur Omre (Traqué). Via la Suisse et la Suède, Nielsen reçoit un exemplaire d’un livre du Britannique Peter Cheyney. Il entame alors la traduction d’ouvrages à succès de langue anglaise, profitant de la soif de lecture et d’Amérique après la Libération : les romanciers états-uniens William Irish (1903-1968) et Earl Stanley Gardner (1889-1970), dans une concurrence délibérément frontale avec la « Série noire », puis Ed McBain (1926-2006). Aux Presses de la Cité, près d’une vingtaine de titres sont proposés en 1945, une quarantaine l’année suivante. L’aventure des Presses est lancée, bientôt renforcée par le débauchage de Georges Simenon, ravi à Gallimard. Parmi les auteurs de langue française en activité, le romancier belge est alors le plus traduit dans le monde.
Peter Cheyney, Duel dans l’ombre, Presses de la Cité, 1947.
La collaboration Simenon/Nielsen, dont le romancier ne cesse de rappeler le climat amical, s’engage de façon financièrement avantageuse : 20 % de droits d’auteur au-delà de 20 000 exemplaires, 300 000 francs d’à-valoir, les droits pour l’étranger et les adaptations cinématographiques. Nielsen saura s’assurer d’autres coups éditoriaux. Il soigne la relation avec Simenon, un temps installé aux États-Unis (1950-1960), accueillant son fils John pour le former aux métiers de l’édition au sein des Presses de la Cité.
L’impressionnante croissance des Presses et leur position centrale dans le paysage éditorial et médiatique entrainent la surveillance de ses activités par les renseignements généraux. L’homme, à la vie privée « exempte de critique », « est connu pour avoir des convictions opposées à l’idéologie communiste. Toutefois, il semble ne pas faire état de ses sentiments politiques dans la conduite de ses affaires commerciales ». Ses sympathies sont cependant « acquises aux organisations de droite » et il envisagera en 1967 la création d’une collection antimarxiste, réplique aux Éditions François Maspero créées en 1959 (Artiaga et Letourneux 22). Dans ses apparitions publiques, Nielsen campe un personnage affable, modeste, amateur d’histoire.
La vie des Nielsen se partage entre Paris et le château de Chérupeaux, en Sologne. Sur ce domaine de 900 hectares acquis en 1955, le couple reçoit les auteurs maison, organisant des parties de chasse. Sven Nielsen mène la vie d’un capitaine d’industrie, opérant des fusions qui permettent une croissance horizontale – via l’acquisition d’autres maisons d’édition – et verticale – intégrant divers acteurs de la chaine du livre. Il cultive une grande discrétion, donnant peu d’entretiens avant les dernières années de sa vie. Son ethos tranche avec celui des grands éditeurs populaires de l’époque, comme Cino Del Duca, disparu en 1967, dont la vie mondaine s’étale dans les quotidiens et hebdomadaires.
Pour l’essentiel, Nielsen apparait dans les mémoires consacrées à l’édition contemporaine comme un grand argentier, qui peut par exemple lancer Bourgois en 1966, l’envisageant comme le laboratoire littéraire de son groupe. Dans des anticipations singulières, il imagine un monde éditorial débarrassé de la matérialité du livre :
L’avenir appartient surtout à une forme de lecture visuelle qui est accompagnée d’images. Je crois par exemple que, plus tard, on aura des petites boites, vous achetez une boite et cette boite vous la déclenchez et alors à ce moment-là vous n’avez pas seulement votre volume, comme un transistor, mais vous avez en même temps au plafond l’image qui accompagne le volume. […] Ce sera des bobines comme des boites d’allumettes. (« 40 000 000 de livres »)
Pour configurer ces « boites », l’éditeur imagine de capter par des électrodes les représentations des auteurs qui, comme Georges Simenon, écrivent « par images ».
C’est le quotidien Libération qui, dans sa nécrologie, associe l’éditeur au Citizen Kane américain d’Orson Welles (6 janvier 1977). Quelques années plus tôt, Paris-Match voyait en lui un « [u]n Viking [qui] bouleverse le marché du livre » (15 mai 1965). Ce sont donc volontiers des qualificatifs étrangers qui viennent dire la singularité de l’homme dans le paysage éditorial et médiatique de la France d’alors. Dans les portraits qui lui sont consacrés, on souligne les origines modestes – à tempérer toutefois – et on multiplie les données comptables pour dire la réussite. C’est, essentiellement, à travers des chiffres (tirages, coût des rachats, croissance, etc.) que Nielsen, l’homme qui contrôle près de 40% de l’édition nationale, est évoqué dans la presse de l’époque. Souvent, l’éditeur est interrogé sur son attachement à la langue et à la culture françaises, comme si sa nationalité restait une anomalie, comme si des gages culturels restaient toujours nécessaires à donner.
François Dosse a qualifié les éditeurs, acteurs décisifs de la chaine du livre, « d’hommes de l’ombre » (Dosse). Sans doute est-il possible d’en trouver d’autres plus obscurs encore – porte-plumes, agents littéraires, traducteurs, correcteurs – qui n’ont pas reçu l’intérêt qu’ils méritaient. Il faut tout de même prendre la mesure des différences qui caractérisent la mémoire des éditeurs, selon leur position dans le champ. Contrairement à Jérôme Lindon (1925-2001) ou Jean-Jacques Pauvert (1926-2014), Nielsen n’est pas un autodidacte doté d’un solide capital social : il est au contraire un professionnel du livre précoce, un homme du marché qui se fait une place en France où il ne connaissait personne. Il ne tranche pas par des prises de position radicales, sur le plan politique – contrairement à Lindon ou Maspero – ou par des choix esthétiques de rupture, accompagnant des courants novateurs. Il suit les tendances repérées ailleurs. À ce titre, il attire le mépris d’une partie de la profession. En 1965, sauvant sa maison des concentrations en cours, Pauvert se moque des éditeurs qui travaillent pour « les gens qui ne s’intéressent pas à la littérature ». Et d’ajouter : « Si Corti disparaissait, il laisserait une place vide. Mais que Nielsen contrôle Plon ou l’inverse, qu’importe » (Dosse 325-54). Les Presses de la Cité ne peuvent s’enorgueillir d’aucun grand prix littéraire obtenu du vivant de Nielsen. « Dans Paris, on parle avec commisération de cette puissante maison qui ne sait produire que de l’argent, trop d’argent ». Comme le note Paris-Match, « [l]a République des Lettres ignore M. Nielsen » et c’est par l’achat de maisons plus prestigieuses que « [l]e Citizen Kane de l’édition » parvient à mettre à son catalogue des grands noms : De Gaulle, Mauriac, Sagan, Aragon ou Huxley (« Un Viking… »). Mais est-ce vraiment là que se situe son legs dans l’édition française ? Nielsen, par les collections populaires qu’il a créées, comme « Un Mystère », a participé à l’américanisation de l’imaginaire collectif des Trente glorieuses. Il publie les grands noms du roman noir états-unien et accueille plus largement les principaux genres du récit policier. Outre Irish et Gardner, « Un Mystère » compte, dans un ensemble de près d’un millier de titres, des textes de James M. Cain, Dashiell Hammett, Robert Finnegan ou Ellery Queen. À partir de la deuxième moitié des années 1950, la collection s’ouvre plus largement aux auteurs francophones, mais les traductions de l’anglais restent majoritaires. Par sa conception du livre et de l’édition, Nielsen a nourri un imaginaire américanisé de la lecture. Il s’est rapidement inspiré des formats du paperback états-uniens, a singé les couvertures des pulps, a favorisé de nouveaux circuits de distribution, désacralisant un livre vendu désormais au drugstore. Issu d’une tradition scandinave du commerce du livre où la traduction et l’exportation sont la norme, il favorise la grande bascule qui s’opère dans la seconde moitié du XXe siècle dans l’édition française, gagnée par les traductions. Celles-ci, qui ne comptent que pour 13% des éditions littéraires en 1938, atteignent les 45% à la fin des années 1970. Dans l’intervalle, l’action de Nielsen, dans le champ de la grande production, aura été décisive, mais couronnée d’un seul prix, tardif et indirect : c’est Bourgois, la maison la plus littéraire des Presses, qui publie Tolkien, prix du meilleur livre étranger pour Le Seigneur des anneaux en 1972, et qui se dote d’un solide catalogue de littérature états-unienne.
Notice et bibliographie établies par Loïc Artiaga - Maître de conférences HDR, histoire contemporaine, EHIC (Université de Limoges)
Pour citer cette notice : Notice Sven NIELSEN (1901-1976) par Loïc Artiaga, Dictionnaire des Passeurs de la Littérature des États-Unis, mise en ligne le 20 mars 2024 - dernière modification le 21 mars 2024, url : https://dicopalitus.huma-num.fr/notice/sven-nielsen-1901-1976/
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